Chère sœur,
Le jour où tu as trouvé le grand amour, tu étais sur un autre continent. Tu ne savais pas, à cette époque, que cet amour ferait de toi une résidente européenne, que tes futurs enfants auraient une double citoyenneté et que tu ne verrais ta famille, celle dont je fais partie, que quelques semaines par année.
Ce futur est maintenant ta réalité. Et la mienne.
Car oui, c’est une réalité avec laquelle je dois, moi aussi, apprendre à vivre. Aujourd’hui, chère sœur, je désire te confier qu’il existe deux vérités. Il y a la vérité que je démontre, celle qui stipule que je suis heureuse pour toi. Il y a aussi l’autre vérité, celle dont je veux te parler aujourd’hui, celle qui me rend triste au plus haut point, car ce pays lointain qui t’a adoptée, t’a déracinée, t’a éloignée de moi. Et je lui en veux souvent parfois.
Je t’imagine en train de lire ces lignes et de te dire que c’est toi, la sœur qui habite outre-mer, qui a le droit de te sentir triste, de t’ennuyer, loin de tes proches. Tu penses probablement que je ne devrais pas me permettre de coucher sur papier ces mots qui m’angoissent tant. Que c’est moi, la chanceuse – celle qui est restée ici sur sa terre natale et près de tous.
Je dois t’avouer que tu me manques terriblement, certains jours plus que d’autres. Car peu importe qui est partie, le fait que nous ne sommes plus ensemble demeure.
Parfois, je songe à tous ces beaux moments spontanés que nous passions ensemble. À ces soirées au cinéma, où nous faisions la file pendant des heures pour avoir la meilleure place. Où nous riions de tout et de rien. À ces journées d’été, près du feu, à simplement être près l’une de l’autre, parfois sans ne rien se dire. Aux jours de froid intense où nous allions jouer dehors, puis nous réchauffer avec un bon chocolat chaud. À ces moments un peu flous où nous avons joué à la bouteille ou à la tag BBQ avec les p’tits gars du quartier. Ces souvenirs me font sourire et me nouent la gorge en même temps. J’ose imaginer parfois quels souvenirs nous aurions pu construire si tu étais restée ici, près de nous, près de moi.
Il y a tant de moments riches en émotion que nous avons vécus chacune de notre côté. Le décalage horaire rend les communications compliquées au travers de nos horaires de mamans… À défaut d’être présente physiquement, j’aimerais pouvoir de voir virtuellement, entendre ta voix, plus souvent. Tu me manques. Beaucoup. Quand tu es partie, j’ai l’impression que tu as arraché une partie de moi et que tu l’as mise dans tes valises. Qu’il me manque littéralement un membre, ce qui me rend par moment dysfonctionnelle. Je me dis même que ça doit être contre-nature de séparer les membres d’une fratrie de la sorte.
Mais je n’y peux rien. J’apprends à vivre avec un membre en moins. L’amour a fait de toi une soeur présente à temps partiel. Il t’a déracinée pour te semer outre-mer, dans ta nouvelle patrie. Je ne peux pas t’en vouloir – j’aurais probablement fait le même choix. Mais je veux que tu saches aujourd’hui, chère sœur, que tu es à temps plein dans mon cœur. Qu’il se fend à la seule pensée que, lorsque l’on aurait besoin de se serrer dans nos bras, de se raconter nos vies, de simplement être là l’une pour l’autre… tu n’es pas ici, avec moi, mais bien là-bas, avec lui, et ta nouvelle famille.
Je t’aime.
LYSIANE BEAUBIEN |
Vous analysez très bien les choses. Moi-même, je suis dans la situation inverse. Je suis celle qui est partie, il y a 32 ans. Mes rapports avec ma soeur sont restés excellents, magiques, pendant une dizaine d’années, puis le charme s’est brusquement rompu. Cela fait 22 ans que j’essaie en vain de renouer le lien de complicité que j’avais avec ma soeur. En vain. Je n’arrive pas à m’y résoudre et continue de lancer des appels.
Votre lettre m’aide à comprendre ce que ma propre soeur a pu éprouver lorsque j’ai quitté la France.
Vous avez beaucoup de délicatesse. Comment votre soeur a-t’elle reçu votre lettre?