À toi ma fille que je n’aurai jamais,
Dès la première phrase de ce texte, il y a quelque chose qui cloche. J’écris à quelqu’un qui n’existe pas et qui n’existera jamais. Cela va possiblement paraître bizarre, mais j’ai quand même besoin que tu saches tout ce qui va suivre. Tu sais, quand j’étais une petite fille, je n’étais pas différente de toutes les autres. Je jouais à la poupée, m’imaginant maman d’une petite fille. Du plus haut de mes cinq ans, ton prénom était déjà choisi. Tu allais t’appeler Frédérique. Oui, comme la fille de Dirty Dancing, parce que ta maman, elle aimait bien ça, les films de filles avec de la danse et des amours impossibles qui finissent par avoir raison de tous les obstacles. J’ai toujours pensé qu’un jour je deviendrais maman d’une petite fille. « J’en ferai un autre jusqu’à temps que j’aie ma fille », me plaisais-je à penser.
Déjà, quand papa m’a donné son accord pour que j’arrête finalement ma contraception, je regardais les literies de bassinette. Elle devait être rose, dans une chambre rose, avec un tapis rose et une lampe rose. Pas question de te faire porter du vert ou du jaune; c’était pour les garçons ou pour les filles des autres. Je te voyais déjà décorée d’un bandeau de fleurs sur la tête chaque jour de ta première année de vie ou encore, je me voyais me battre avec ta trop mince chevelure pour essayer de t’attacher une barrette. Est-ce que tu vois le genre de mère que j’aurais été?
Un jour, c’est arrivé. J’ai vu la deuxième petite barre rose sur le test de grossesse, celle que j’attendais depuis tellement de mois. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai su dès le début que le bébé que je portais serait un garçon. Un sixième sens, peut-être. Ou simplement l’envie de me protéger. Est ensuite arrivé le moment de l’échographie pendant lequel on nous a annoncé que je portais deux garçons. Une petite déception probablement accentuée par le fait que je savais très bien que papa n’en voulait pas plus que deux. Mais je ne l’ai pas mal pris. Je n’avais pas le droit d’être déçue ou triste trop longtemps, je l’avais attendue, cette petite ligne rose. Deux petits êtres grandissaient en moi et ne demandaient qu’à être aimés. Je savais que peu importe leur sexe, j’allais être capable de les aimer, que l’amour allait triompher et que jamais je ne leur donnerais l’impression que c’était toi que j’aurais voulu avoir et pas eux.
J’aurais aimé pouvoir leur dire que depuis le jour de leur naissance, je n’ai plus jamais eu cette boule dans l’estomac quand je pensais que jamais je ne te connaîtrais, que leur présence dans ma vie avait effacé ce désir, mais ça serait leur mentir. Aujourd’hui , j’ai envie que toi, ma fille que je n’aurai jamais, tu saches ce que je dirai à mes fils un jour.
À mes fils, ceux que j’ai l’immense bonheur de connaître,
La vie nous apporte son lot de surprises. Vous en faites partie. Je ne parle pas du fait que vous êtes arrivés en double; j’en avais le pressentiment depuis longtemps puisque je ne fais jamais les choses à moitié. La vie a voulu que je joue au soccer et aux Ninjas Turtles plutôt qu’aux poupées et aux Barbies.
Je vous l’avoue, j’ai été chamboulée au début, si bien que probablement vous vous rendiez compte de certaines de mes maladresses. Ce n’est pas tous les jours facile d’être maman de deux petits garçons, on doit s’adapter. Mais je m’y fais et objectivement, je ne me trouve pas mal du tout. J’aime jouer au soccer, m’inventer pompière le temps d’un feu ou empiler les blocs Lego en bâtissant un château pour la figurine de princesse que personne ne veut à part moi.
Pour rien au monde je ne vous échangerais. Vous comblez mon cœur de mère deux fois plutôt qu’une. Avoir des fils, ce n’est pas ce que je pensais, c’est beaucoup mieux. Merci de m’avoir choisie comme maman.
Je me plais à penser que pour le moment, je suis la femme de votre vie, car je sais qu’un jour une autre femme prendra cette place et je ne suis pas pressée de voir ce jour arriver.
Maman
PS : Vous pouvez continuer de me brosser les cheveux ou de me harceler pour écouter la Reine des neiges, ça met un petit plaster sur le bobo d’une petite fille de cinq ans bientôt trente et un.
ROXANNE LAVOIE
LA COLLABORATRICE SPONTANÉE |
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