Chère ex-amie,
Je me rappellerai toujours ce email que tu m’as envoyé un beau jour, sans prévenir, pour me flusher de ton cercle d’amis. En prenant la peine de me spécifier que je n’avais pas le droit d’y répondre, que tu ne lirais pas ma réplique, qu’en quelque sorte ton seul avis était le bon et méritait d’être lu. Aujourd’hui, après toutes ces années, je prends ma plume pour te dire que ce fameux monologue que tu as composé ce beau jour-là ne valait pas grand-chose. Et que finalement, tu m’as fort probablement rendu service en nous éloignant l’une de l’autre.
Nous avions fait notre secondaire ensemble et après, nous nous étions perdues de vue, comme bon nombre d’adolescents le font. Différents parcours, différents intérêts, différentes fréquentations. Tout ce qu’il y a de plus banal. Puis, une amie que nous avions en commun nous avait remises en contact, quelques quinze ans plus tard, toutes trois avec un enfant, donc de nouvelles expériences à partager et un nouveau point en commun.
Des cafés, des soupers, des visites de mamans en congé de maternité (on était synchro côté congés, c’est l’fun ca!), parsemées de promenades ensoleillées avec bébés dans leurs poussettes – on a eu plusieurs beaux moments. Pis, ben, comme deux filles prises dans leurs routines bébé-maison-tâches-bouffe, pis tout le tralala, ben on jasait entre adultes de tout ça. Pis on partageait nos avis sur tout ça, tout bonnement. T’sais, deux mamans, quand ça peut dire autre chose que gougou-gaga, pis changer des couches, ben c’est valorisant. Juste le fait d’enligner une dizaine de phrases composées de plus de cinq mots consécutifs peut te remonter un moral maternel d’une couple de crans, je te jure.
Le hic est que deux humains peuvent avoir des conversations portant sur une foule de sujets, parfois anodins, mais parfois sensibles. Et que parfois, sans le vouloir, on peut blesser l’autre ou le juger, par exemple en donnant un conseil par rapport à un fait similaire vécu… J’ai appris avec les années que dans une communication, on a 90% de chances que le message qu’on veut dire soit mal reçu. De là l’invention des phrases-clés telles que « peux-tu être plus claire? », « je ne suis pas certaine d’avoir bien compris » ou la plus populaire onomatopée passe-partout « hein?? ».
Donc, en partageant mon opinion sur un sujet x (ou était-ce plusieurs?), tu t’es offusquée, mais tu n’as rien dit. C’était assurément un malentendu, mais tu n’as pas voulu que je précise ma pensée. C’était trop de jugement pour toi et tu as décidé de mettre un terme à notre amitié renouvelée. Peut-être que le destin avait eu raison de nous séparer la première fois? Je persiste à croire que nos différences auraient pu être bénéfiques. J’aime penser que les gens opposés, ceux avec des valeurs différentes, nous font grandir. À tes yeux, cependant, j’ai perçu que nos bagages et nos parcours différents, au lieu de nous rapprocher à nouveau, t’ont semblé un obstacle insurmontable.
Aujourd’hui encore, il y a 90% de chances que mon message soit mal perçu. Mais mon petit doigt me dit que tu ne répondras pas à cette lettre.
Adieu,
Ton ex-amie
LYSIANE BEAUBIEN |
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