Quand le bain se finit à grands coups de larmes et de envoye mets ton pyjama arrête de niaiser, l’heure ultime du dodo, tant attendue par une majorité de parents (qui n’osent pas toujours l’avouer) arrive finalement, comme si la dernière fois où ta progéniture avait posé la tête sur l’oreiller remontait aux années vingt. Mais tant qu’elle ne ronflera pas, t’es pas au bout de tes peines.
Bien installés sur le lit simple du plus vieux entre ses quarante-huit toutous et la plus vieille qui veut s’asseoir sur toi, tu entames l’histoire des trois petits cochons avec autant d’enthousiasme qu’un patient fraîchement débarqué à la morgue. Ton interprétation, douteuse et inégale, des voix des trente-deux personnages de l’histoire qui se confondent entre elles, sème la confusion auprès de ton auditoire qui ne t’écoute finalement pas vraiment, trop occupé à se faire des grimaces et à rire dans sa barbe de quelque chose qui t’échappe, plus connu sous le nom de dangeureux-état-de-fatigue-avancée-infantile. Tu skippes volontairement les pages cinq, six, sept, pis envoye donc pour huit, neuf et dix à l’insu de ta marmaille qui continue ses simagrées. Tu pètes rapidement ta coche en leur rappelant qu’y’en aura pu des histoires s’ils font des niaiseries de même et tu les menaces de couper la chanson vite fait dans l’espoir de pouvoir passer go et te rendre immédiatement à la case coucher-du-corps.
Pas de chance, tes chérubins comprennent l’enjeu et se métamorphosent – très temporairement – en quelque chose de calme et sournoisement silencieux. Chacun y va de sa comptine trop longue à quatre couplets et deux refrains. Dix minutes plus tard, le rideau se ferme enfin et tu penses que ça y est. Mais non.
Après avoir bordé la chair de ta chair, lui avoir flatté le dos, les cheveux et les cils à sa demande, avoir viré la maison à l’envers pour trouver la tortue Boppie et la doudou-chien et avoir expressément confirmé que le port d’un pyjama à manches longues n’était pas conseillé quand il fait trente dehors non t’auras pas froid, tu envoies tes derniers «bonne nuit», prête pour une grosse heure de qualité de télé évachée dans le divan avec un peu de bave sur le menton dans un état semi comateux.
À peu près au même moment où tu poses ton derrière sur ton fauteuil sur une trame sonore mentale de victoire de guerre, le plus jeune t’appelle de sa petite voix soudainement pas mal plus aiguë et fatigante. Ta face trahit déjà ton exaspération.
Ça commence normalement par une envie soudaine de retourner faire pipi même si le dernier remonte à vingt minutes. Ça presse. Ça doit se passer maintenant. Et dans le vacarme le plus complet pour s’assurer de réveiller l’autre qui va normalement aussi se découvrir un pressant besoin de vider sa vessie question de retarder l’heure du dodo de plus ou moins une demi-heure. Tu te rassis, dix minutes plus tard, après avoir assuré le contrôle qualité du lavage des mains post-pipi anti-gastro et avoir rebordé tout le monde pour une deuxième fois suite à un échange musclé sur le thème je ne te rechanterai pas une autre chanson certain.
Ta pause est brève et dure plus ou moins trois minutes parce que ça se poursuit habituellement par une grande soif. C’est bien connu; quand tu es couché dans ta chambre à vingt degrés Celsius dans le noir depuis une demi-heure, tu meurs de soif autant que si tu venais de faire vingt kilomètres à pied, pas de chameau, pas de cactus, dans le désert du Sahara. Ça fait que te voilà relevée de ton divan à jouer les porteurs d’eau de chambre en chambre desquelles tu sors en criant (en chuchotant) bon là c’est assez, dodo.
Pour rester dans la thématique, s’ensuit une très grande chaleur ou un froid sibérien qui oblige ta progéniture à t’appeler à la rescousse pour une troisième fois pour lui abrier ou lui désabrier les jambes. Lesdites jambes étant rattachées au corps d’un enfant de six ans parfaitement autonome comme dans tu peux très bien remonter ta couverte tout seul.
Une fois sa vessie revidée, sa soif étanchée et son coup de chaleur passé, ta progéniture, qui a plus d’un tour dans son sac, te sert le classique j’ai peur. Peur du monstre dans le garde-robe, peur du monstre en dessous du lit, peur du feu, peur des voleurs, peur que tu meurs, peur que son frère meurt, peur que son poisson meurt, peur d’avoir peur. Crainte réelle ou manipulation ? Personne ne le saura jamais et c’est pour ça que ton cœur balance entre le réconfort et l’ignorance. Après lui avoir certifié que papa a des super gros muscles qui vont faire fuir les bandits et que c’est juste ceux qui fument et qui font des frites qui passent au feu (c’est faux, mais nécessaire), tu lévites jusqu’au divan où tu t’échoues pour une quatrième fois.
C’est parfait parce que l’emplacement sera idéal pour assister au concert de toutous avec des gros yeux durs qui tombent par terre chacun leur tour qui devrait commencer dans plus ou moins deux minutes.
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