T’es restée debout. Comme la dernière fleur d’un champ sous une rafale de vent. T’as tenu jusqu’à la fin, t’sais. Et pis il est apparu sournoisement, ce fameux voile gris qui s’est posé lentement sur ta vie. Celui qui a noirci tes idées, qui t’a brouillé l’identité ne te laissant comme seul salut que le visage de tes deux enfants à travers la brume, comme tes deux derniers rayons soleils.
On va se le dire, tu y a goûté cette fois. T’es dans les statistiques à c’t’heure ma belle. Tu figures dans le 19% des mamans qui reçoivent une invitée surprise à la maison, en plus du manque de sommeil pis du baby blues passager. La dépression post-partum prend tout ses aises chez vous parce qu’elle est là pour rester. Et c’est à grands coups de batte de baseball qu’elle s’en prend à ta carcasse ébranlée dans la plus flagrante gratuité qui soit et dans un silence de mort que personne ne perçoit.
Tout le monde t’envie d’avoir un aussi petit être à charge que tu peux cajoler à outrance. On te dit tellement de le vivre pleinement, ce court moment-là de sa vie. Ça te blesse. La vérité, c’est que tu ne peux même pas en profiter, de ces instants-là, parce que t’es prise dans une bataille qui bouffe tout ton temps pis tout ton jus. Pis tu fournis pu.
T’en viens à t’en vouloir d’avoir donné naissance à tes enfants dans un monde aussi pathétique. C’pas trop long à constater. T’as qu’à prendre ton char pis faire trois ou quatre stops pour t’apercevoir qu’on vit dans l’univers égocentrique du chacun-pour-soi. T’as qu’à ouvrir la télé pour constater que le monde est tellement cruel pis dangereux qu’on est plus à l’abri nulle part.
T’es mêlée. Tu ne sais plus si tu dois inculquer la gentillesse à ta progéniture. Parce qu’il te semble que c’est souvent les méchants, ceux qui savent faire une croix sur la sympathie, l’amour pis le don de soi qui écrasent les autres et atteignent les plus hauts sommets.
T’en viens à vouloir fermer les rideaux pour donner un break à ta fenêtre sur le monde. Et que dire de la petite merde que tu tiens jamais ben loin, en attente de la prochaine notification, de la prochaine approbation sociale, de l’émoticône vide de sens.
Au fond, tu rêves d’une vie meilleure. Tu veux que la brume se disperse. Que ton champ soit plein de fleurs. Que tes deux rayons de soleil aient les valeurs à la bonne place tout en ayant le cerveau bien allumé.
T’es peut-être à terre mais si quelqu’un essayait de les écraser, là, maintenant, tu te battrais pour eux jusqu’à ta dernière goutte de vie.
Puis peu à peu, les choses se replacent. Comme si par un beau matin, ton voile gris avait finalement eu pitié de toi. Un peu comme si le fait d’avoir crié ta vie dans ton oreiller pendant six mois avait extériorisé ce mal-être-là qui te brûlait le dedans.
Mais tu restes fragile. Parce que t’as déjà basculé du côté obscur. Celui dont personne ne parle.
N’oublie jamais que tu n’es pas seule à avoir fait le saut dans ce pays où le ciel est noir en permanence. Que le vent qui a eu raison de toi hier ne pourra jamais balayer ce qui est enfoui au fin fond de ton cœur.
Dans la tempête, tu t’es accrochée à tes enfants comme si c’était la dernière chose qui importait dans ce monde trop souvent cruel. Et eux, ils se sont accrochés à toi parce leur monde, c’est toi.
STÉPHANIE HÉBERT |
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