Il n’y a pas un jour sans que je ne pense à elle, et pourtant, je peine à lui donner des nouvelles ou passer la voir. Je me culpabilise à l’idée de la laisser tomber, elle qui a toujours été là pour moi.
Mais c’est au-delà de mes forces.
Ces couloirs sentant l’urine, peuplés de grands-parents désorientés à l’hygiène douteuse, posant les mêmes questions à intervalles réguliers sans se souvenir des réponses, ce n’est pas chez elle.
Cette grand-mère courbée, assise avec trois autres pensionnaires à attendre le souper, qui papillonne devant sa télé, ne me reconnaît pas à mon arrivée et ne se souvient plus du prénom de mon petit dernier, ce n’est pas elle.
Chez elle, ça sent les beignes et les peppermints, les marguerites et l’eau de Cologne de papi. Chez elle, les chats sont choyés, dorlotés, et même autorisés à dormir sur le fauteuil en osier du grand-père.
Chez elle, au déjeuner, pas de biscuits ou sucreries : les tartines sont beurrées, délicatement parsemées de copeaux de chocolat râpé.
Chez elle, le soir, on apprend à lire et à écrire grâce aux Alphabits noyées dans du lait. Chez elle, on ne s’ennuie jamais, la paresse, elle ne connaît pas : on dessine en suivant les coureurs cyclistes à la télé, on trie des boutons, on joue avec des feutres et des boîtes de conserve, on enchaîne les parties de Scrabble, on fait des mots croisés. Chez elle, on lit, on s’instruit, on rit.
Elle, c’est la sérieuse, la responsable du binôme. Pendant que le grand-père s’offre un peu de fantaisie, elle compte, elle gère, elle prend soin de la tribu, y compris des anciens, aujourd’hui disparus. Au détour d’une balade, elle s’arrête au cimetière pour fleurir leur tombe, et chuchote une prière. Son amour, sa tendresse, sa tristesse, elle ne sait pas les exprimer. C’est à nous de décoder.
Elle, c’est un pic, c’est un roc. Toujours debout, discrète, qui ne laisse rien paraître. Des soucis, elle en a, mais on ne les voit pas. Il me semble que même du pire, elle sait se relever. C’est l’optimisme né.
Alors, la voir aujourd’hui si vulnérable, si fragile, affolée et paniquée à la moindre contrariété, j’ai du mal à l’encaisser. La voir se dégrader et régresser, ça me file la nausée.
Avant que le rideau ne se baisse, j’aimerais pouvoir la prendre dans mes bras, la bercer, la cajoler, la remercier pour toutes ces années, lui dire que ça va aller, qu’elle peut s’en aller, que la relève est assurée.
Que son chez-elle est devenu un peu mon chez-moi, les chats ne s’y trompent pas. Que mon aînée a commencé à dessiner. Que mon plus jeune raffole des Alphabits. Que ma cadette me bat régulièrement au Scrabble et que je suis une fan invétérée des mots croisés.
Et qu’où qu’elle soit, elle ne sera jamais loin de moi.
Alors faites-le…prenez-la dans vos bras…bercez-la et cajolez-la autant que votre cœur vous le demande car après son départ il ne vous restera dans le vôtre (cœur) que de la sérénité et je suis certaine qu’au fond d’elle-même…elle reconnaîtra sa petite-fille qui lui aura donné tant de bonheur !!! Bon courage pour la suite des choses…une grand-maman est un des piliers de notre vie !