Il y a presque six ans tu nous quittais, sans jamais t’avoir même présenté. Sans même que ton nom soit décidé, sans même qu’on sache si tu étais une fille ou un garçon.
Le seul souvenir que j’ai vraiment de toi, c’est un petit plus sur un test de grossesse et ton petit cœur qui bat en flasher sur la première échographie. Il me reste aussi le souvenir du bonheur que j’ai ressenti de savoir que tu t’en venais et la peine que j’ai eue quand j’ai su que tu t’étais perdu en chemin et que tu n’arriverais jamais. Ton petit corps de foetus était tout simplement pas assez fort pour faire le voyage. Tu dois savoir que ta mère et moi, on t’a aimé à la minute qu’on a su que tu t’en venais. Ta mère pis moi, on a pas été capables de continuer ensemble, mais ça c’est pas de ta faute, c’est juste nous qui n’étions pas capables de donner un sens, ensemble, à ton départ.
Si je t’écris aujourd’hui, c’est que je crois que tu me hantes encore; encore là, ce n’est pas ta faute, c’est papa qui n’est pas très bon pour laisser aller. C’est papa qui a peur. Peur de revivre la même histoire. Peur d’un autre deuil. Pour ne pas le revivre, je m’en suis fait, des accroires. Tu ne peux pas savoir comment. Et me répéter que j’étais un célibataire endurci et que je ne serais jamais un bon papa pour personne parce que j’aime mieux dormir le matin, c’est ce que j’ai tenté de me faire croire le plus fort.
Tu sais comment je suis, j’en dis pis j’en pense beaucoup des niaiseries. Et si j’ai besoin de t’écrire aujourd’hui, c’est que j’ai besoin de tourner la page, j’ai besoin de ne plus avoir peur de ce qui peut arriver si…
Tu vois, papa a fait la connaissance d’un petit garçon dernièrement, il s’appelle Émile, il n’est pas ton demi-frère et il a déjà un papa, même si ses parents n’habitent plus ensemble. Je ne te laisse pas aller pour être son papa à lui, mais ce petit garçon a une maman pas mal gentille, que j’aime beaucoup et je crois qu’elle m’aime beaucoup aussi. Tu sais les adultes des fois, ça s’aime bien.
Cette nuit, il a eu beaucoup de difficulté à dormir et pour aider sa maman que j’aime beaucoup, pour qu’elle puisse dormir un peu, j’ai bercé Émile longtemps pour qu’il s’endorme, et c’est là que j’ai réalisé que j’avais besoin de t’écrire. C’est là que j’ai réalisé que je devais te laisser aller. Et j’ai pleuré en le berçant, parce que toutes les nuits où je l’aurais fait pour toi me manquent. Et que si je continue à te retenir, je m’empêche de devenir le papa de quelqu’un qui ne se perdra pas en chemin, je m’empêche de vivre les nuits blanches et les rages de dents. Si les moments durs me manquent, imagine comment les premiers sourires, les premiers pas et les premiers mots doivent me manquer.
J’ai mal de te dire tout ça, je pleure encore. C’est dur de se rendre compte que la cicatrice n’est pas complètement fermée. C’est dur d’être un papa sans enfant. C’est surtout dur d’avoir peur.
Mais aujourd’hui, je ne veux plus penser que le pire va arriver. Aujourd’hui, je dois te laisser aller.
Je t’aime.
Francis
Merci d’avoir partagé avec nous cette lettre magnifique. Elle m’a beaucoup touchée.