Tu étais mon pilier. Mon roc. Mon homme fort toujours prêt à m’aider, m’épauler, à prendre la relève quand j’étais épuisée. Tu étais tellement à l’écoute que souvent, tu t’apercevais de mon besoin de prendre un temps d’arrêt avant moi. Tu prenais alors en charge nos cocos et je pouvais aller me réfugier dans une douche bien chaude ou carrément sous les couvertures. Et quand je te demandais si ça allait pour toi, toujours tu me répondais « oui » avec un large sourire. Mais peu à peu, ton « oui » franc s’est transformé en « hum-hum » puis en petit hochement de tête. Et fini le large sourire. Mais je n’ai rien remarqué sur le coup. Ça s’est fait petit à petit. Et comme tu continuais à assurer avec les enfants, je mettais ça sur le stress du boulot que tu ramenais à la maison. Ou alors je me disais que j’avais dit ou fait quelque chose de dérangeant. Je prenais la responsabilité de ton humeur, me questionnant sur moi et en me demandant si tes sentiments pour moi avaient changé… Je n’ai pas réalisé tout de suite qu’il n’était nullement question de moi. Ou si peu. Pas réalisé que tu t’enfonçais dans ta douleur. Ta noirceur. Et ce, un peu plus chaque jour.
Puis, un jour, tu m’as hurlé dessus. Vraiment fort. J’ai d’abord figé. Puis répliqué sur le même ton. On me dit parfois forte. Ou avec un sale caractère. Je dirais plutôt que je suis réactive. J’ai réagi sans me questionner. Du tac au tac. Ça a dégénéré. Tellement qu’on a parlé de se séparer. Puis, les jours ont passé. Tu semblais calmé, « normal ». Ça m’a rassurée et on a fait comme si de rien n’était. Mais nos chicanes sont devenues de plus en plus fréquentes. Trop fréquentes. Le moindre désaccord finissait en règlement de compte. Une fois les enfants couchés, le ton montait. L’heure du coucher était maintenant l’heure de la confrontation. Pour tout. Pour rien. J’ai cru que tu ne m’aimais plus. Toujours, je ramenais tout à moi. « Je » te tapais sur les nerfs. « Je » n’étais plus désirable ou aimable à tes yeux. Mais j’avais tout faux. Tout partait de toi. De ton mal-être. Mais je n’ai rien vu. Et toi non plus. C’est que, malheureusement, on s’habitue à ne pas être bien.
Je n’ai pas vu les cernes monstrueux qui ombraient tes yeux éteints. Tes siestes interminables. Ton teint gris. Je n’ai pas porté attention à la rareté de ton rire. Le joueur de tours coquin avait fait place au papa qui fait ce qu’il a à faire. Sans plus. Le chatouilleur toujours à la recherche de câlins s’est fait plus discret. Tu t’es enfoncé encore un peu plus. Tu as amené cette fragilité au boulot. Ça a pris des mois avant que tu ne craques « pour vrai ». Une situation banale au boulot t’a fait éclater. Une petite pression naguère supportable qui t’a été insupportable. Insupportable au point où tu es parti. Tu as pris la bonne décision en allant voir ton médecin. Tu as fait ce qu’il fallait en pleurant devant lui, à bout de nerfs. À bout de patience. À bout de toute. Et depuis, je te regarde tenter de remonter. Doucement. Péniblement. Bien sûr, il y a des jours plus faciles que d’autres. Mais tu essaies d’aller mieux, un petit pas à la fois.
Tu sais, la dépression ne frappe pas les faibles. Non, elle frappe les hommes. Les femmes. Les jeunes. Les vieux. La dépression frappe les êtres humains. Sans exception. Point.
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