Mon gars, je ne te le dirai plus. Je n’en peux plus de voir tes beaux grands yeux bleus fixer ton écran avec le regard le plus vide que j’ai jamais vu de ma vie. Je n’en peux plus de voir ton petit corps inerte s’enfoncer d’un pouce de plus dans le divan à toutes les minutes qui passent.
Mon gars, lâche ton écran pis va jouer dehors.
Pendant que tes yeux ne quittent plus ta maudite tablette, les saisons défilent, le temps s’écoule, la vie passe et tu manques tout ce qu’il y a de beau à voir. Des couleurs flamboyantes des arbres à l’automne à la première neige qui virevolte dans l’air frais de novembre. Des jours enfin plus chauds où la neige fond en avril au parfum d’été qui envahit les narines de tous ceux qui ont mis le nez dehors aux doux rayons du soleil de juillet. L’enfance est faite pour s’émerveiller des petites choses de la vie et non pas pour mourir à petit feu devant une partie de Candy Crush.
Mon gars, lâche ton écran pis va jouer dehors.
Pendant que tes yeux ne quittent plus ta maudite tablette, je te parle mais tu ne me réponds plus. Ton écran te sépare du monde et plutôt que de me raconter ta journée, de rire avec des amis qui seraient venus te cueillir à la porte comme le faisaient les miens lorsque j’avais ton âge, de t’amuser devant un jeu de société en famille ou de t’inventer un monde imaginaire entre les quatre murs de ta chambre, tu entreprends ta quarante-huitième course de jeep virtuel abrutissante derrière lequel un même paysage défile en boucle, la bouche ouverte.
Mon gars, lâche ton écran pis va jouer dehors.
Pendant que tes yeux ne quittent plus ta maudite tablette, tes petites jambes ne foulent plus la pelouse de notre cour pour t’amuser avec le ballon de soccer que ton père t’a offert pour ton anniversaire le mois dernier. Ton cœur ne bat plus la chamade après une course effrénée dont tu étais jadis toujours si fier d’être le grand gagnant. Les pneus de ton vélo ont ramolli, ta corde à danser est sans doute devenue trop petite et je ne me rappelle plus la dernière fois que tu m’as demandé d’aller au parc.
Mon gars, lâche ton écran pis va jouer dehors.
Je refuse que toutes les petites choses de la vie cessent de t’émerveiller parce que tu crois que rien ne sera jamais plus enthousiasmant qu’un nouveau jeu sur ta tablette. Je refuse que tes victoires à Clash Royal parviennent à nourrir suffisamment ta fierté pour que tu ne cherches plus à te dépasser et que tes échanges avec tes amis virtuels sustentent ton désir d’échanger. Je refuse qu’une partie de Cours Thom devienne plus challengeante pour toi qu’une course sur la piste cyclable avec le petit voisin.
Je sais que j’ai contribué à cet amour que tu portes à ta damnée tablette en t’y laissant jouer trop souvent mais aujourd’hui, c’est terminé. Mon garçon, la vie n’est pas virtuelle. Elle est bien réelle, tangible et la petite personne que tu es a tant à découvrir qu’elle ne peut plus perdre une seconde derrière son écran.
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