Lorsqu’on me demande ce que je fais dans la vie, je réponds qu je suis maman à la maisonpuis j’ajoute, comme pour effacer le dégoût dans le visage de mon interlocuteur que j’ai une Maîtrise. Parce que oui, moi madame, je torche des culs avec érudition. Je ne suis pas une maman à la maison qui était trop conne pour se trouver un boulot. Que non! Je l’ai choisi. Malgré que j’ai grandi en me faisant marteler que je devais avoir mon autonomie financière, malgré que ma maman monoparentale avait deux emplois en faisant ses études universitaires, malgré que mon curriculum vitae ne ressemble à rien.
Du point de vue d’un employeur, je suis la candidate idéale. Prête à travailler le soir, les week-ends, la nuit. Fidèle au poste lors des jours fériés ou avec une pneumonie. Toujours en quête d’amélioration, mettant de côté mes propres besoins pour le bien de l’entreprise. Je prends mon boulot à cœur, je suis perpétuellement en recherche et développement. J’ai une grande autonomie, j’ai une fabuleuse capacité d’organisation, je me dévoue pour l’équipe. Une employée rêvée.
Pourtant, je suis d’une violente invisibilité.
Parce que monsieur s’occupe de mettre du beurre sur nos patates pendant que je plie du linge en récitant l’alphabet au petit dernier, je me sens souvent comme le bâton dans la roue féministe. Il n’existe pas de version moderne du modèle. Mis à part le fait que je peux mettre sur Facebook la dernière finesse de junior, j’ai la vie de ma grand-mère. Je traverse mon existence adulte comme une femme des années trente avec, en plus, le sentiment planant de faire une erreur. Bon j’ai le droit de vote aussi… mais n’empêche.
L’ampleur des possibles rend ma décision d’élever moi-même mes enfants extrêmement difficile. Je suis convaincue, au fond, que ma place est auprès d’eux. Persuadée qu’il n’y a nulle part d’autre sur terre où ma présence a plus de valeur. Pourtant, je doute. Quand j’entends une maman me parler de l’avancement de sa carrière, de l’importance de partager les tâches équitablement avec chéri et du bonheur d’aller se reposer au bureau après la semaine de relâche. Je doute. Quand j’entends ma fille de quatre ans dire :« maman, elle ne travaille pas». Je doute. Quand je lis les statistiques effarantes de la pauvreté chez les femmes vieillissantes parce qu’elles ont mis de côté leur carrière pour prendre soin des enfants ou d’un proche malade. Je doute.
De toute façon, le mal est fait. Alors que je paie encore mes prêts et bourses, cela fait maintenant huit ans que j’ai quitté l’université et que de jeunes gazelles autonomes et modernes ont pris la place. Bien que je me fende en quatre pour fournir à la société de futurs payeurs de taxes de qualité, je reste dans l’ombre…
Non, il n’y a pas de sot métier. Et puis de toute façon être maman n’en est pas un, métier. C’est une vocation.
Merci Marianne Chassé pour votre texte, je le ferai lire à fiston ce soir dans l’espoir de remonter un peu dans son estime. Depuis plusieurs années, je suis sans emploi rémunéré, mère monoparentale au foyer. Ex-enseignante au secondaire désormais dévouée à son rôle de mère, je suis toujours soucieuse d’offrir le meilleur de moi-même à mon enfant. Et, en dépit de cela, je n’y arrive pas et suis régulièrement plongée dans l’autocritique ou exposée à la pression sociale. Au prise avec un trouble d’anxiété généralisée présent dans le milieu du travail, le milieu familial me permet de m’épanouir de manière plus optimale, malgré cette ombre au tableau : être la honte de mon ado. À la question préférée des enseignants posée en début d’année scolaire (quel métier exercent tes parents?), mon fils répond que sa maman ne travaille pas, car elle est malade et souffre d’un problème d’anxiété, non pas parce qu’elle est disponible pour lui et pour ses proches 24h sur 24, 7 jours sur 7. Pourtant, du matin au soir, je fourmille dans la maison ou dans ma coop. Je fais le choix de ne pas avoir de voiture pour épargner un peu notre belle petite planète bleue, bien qu’il m’arrive de «tricher» avec la voiture de mon père ces dernières années, alors je n’ai même pas le mérite d’être une «puriste». Moi, qui m’estime autonome, responsable et dévouée, suis considérée comme une personne pas autonome par mon propre enfant de 12 ans. Pourtant, malgré le petit «salaire» que je reçois chaque mois, je réussis à mettre des sous de côté dans un REEE pour petit monsieur. Nous mangeons bio la plupart du temps, pour notre santé et celle de la terre, et nous vivons en compagnie de deux chats pour adoucir notre existence. Bref, je veille à ce que mon enfant ne manque de rien. Tout ça parce que chaque facture est scrutée à la loupe, chaque erreur est revendiquée, chaque achat est réfléchi, chaque don est apprécié, chaque chose est soigneusement entretenue. J’explique à mon enfant qu’il pourrait dire que sa maman est une artiste, comme je joue parfois de la flûte, ou écrivaine, comme il m’arrive aussi de m’envoler avec ma plume. Mais il tourne toutes mes suggestions en dérision. Puis-je le lui en tenir rigueur? Il s’agit du regard que ses pairs poseront ensuite sur lui. En 2021, la maladie justifie mieux notre absence sur un talon de paie qu’être mère à la maison. Pourtant, je ne juge pas les mères qui choisissent d’occuper un emploi rémunéré, moi. Je ne juge pas le choix que font les mamans du monde, car je pense sincèrement que le plus important pour une mère est de pouvoir choisir de rester ou non à la maison sans culpabiliser et sans craindre la pression sociale ou le jugement des autres. Les enfants ont besoin d’une maman forte, confiante et rassurante, non pas d’une maman complexée en proie au dénigrement social. Je revendique un monde réinventé où toutes les mères sont valorisées, dès lors qu’elles aiment leur(s) enfant(s) et souhaitent leur offrir le meilleur d’elles-mêmes.