Quand tu es né, mon bébé, il t’a fallu un peu d’aide. Juste un petit coup de pouce médical pour t’aider à partir la vie du bon pied. Après l’accouchement, maman aussi a dû avoir de l’aide des médecins pour pouvoir être prête pour te recevoir comme il faut. Cela faisait quatorze heures depuis ta venue au monde et on ne s’était même pas présentés. Je me souviens de la première fois où je t’ai vu. J’avais peigné mes cheveux gras et je les ai mis en chignon sur ma tête. Je m’étais débarbouillée pour la première fois depuis trois jours. On m’avait donné une nouvelle jaquette d’hôpital toute propre. Je me faisais belle pour te voir, mon bébé. Cette première rencontre qui allait changer ma vie.
Papa a roulé ma chaise roulante vers ton petit incubateur. Une fois dans la pouponnière, il y avait plusieurs bébés, certains plus amochés que toi. Tellement petits et chétifs, avec toutes sortes de fils leur sortant du pyjama et branchés à des machines effrayantes qui faisaient bip bip. Même toi, tu étais pluggé avec des électrodes. Ils t’avaient inséré un minuscule cathéter dans le bras. Tu portais juste ta couche et tu faisais dodo paisiblement, même à travers tout ce chaos. Pour être honnête, j’aurais pu te confondre avec n’importe quel bébé, je ne t’avais jamais vu. C’est papa qui a dû me montrer où tu étais.
J’ai demandé à ce que je puisse te prendre et l’infirmière m’a aidée à t’installer sur moi. Nos fils s’entremêlaient entre eux.
J’observais les autres bébés autour de nous et j’en avais les larmes aux yeux. Car, bien que tous ces bébés étaient au chaud, en sécurité et sous la surveillance du personnel, je ne pouvais m’empêcher de remarquer qu’ils étaient seuls. Le bébé à côté de toi était né prématurément et cela faisait quatre semaines qu’il était à la pouponnière. L’infirmière tâchait de lui donner le biberon et je trouvais cela stérile, clinique et sans profondeur. L’infirmière était certes gentille et attentionnée, mais c’était son travail, sa tâche du jour. Sa maman n’était pas là pour le nourrir, lui tenir la main, lui flatter sa tête duveteuse et lui donner cet extra d’amour. Je ne le lui reproche pas du tout, car parfois, la vie fait en sorte qu’il faut faire des choix déchirants. Peut-être que sa maman devait être à la maison pour s’occuper de ses autres enfants. Peut-être que son papa ne pouvait pas prendre congé de son travail. Peut-être que ses grands-parents vivaient dans un autre pays et ne pouvaient pas venir aider. Peut-être que…
Mais tu sais quoi? Moi, je l’aurais pris. Je l’aurais bercé et je l’aurais caressé. Je lui aurais donné des bisous sur le front et lui aurais tapoté les fesses. Je l’aurais regardé dans les yeux en lui chantant une berceuse. J’aurais été sa maman de remplacement, jusqu’à ce que sa vraie maman trouve le temps et l’énergie de venir le bercer, lui jaser et le cajoler. Il aurait été moins seul. Il aurait été moins fragile.
C’est comme ça que je me suis mise à penser à tous les autres bébés dont les parents ne les aiment pas, ou tous ceux dont les parents les ont abandonnés et laissés à eux-mêmes. Tous ces bébés nés dans des pays en guerre ou ravagés par la famine ou dans ces endroits où naître fille n’est pas de bon augure. Tous ces nouveau-nés qui n’ont pas de mamans et dont les appels camouflés sous les pleurs ne retrouvent pas celle, l’unique, qui se chargera de les rassurer.
Chaque fois que j’y pense, mon cœur se déchire. Je les adopterais tous, ces nouveau-nés, et je les aimerais comme je t’aime, toi, mon bébé.
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