Quand tu te blottissais encore au creux de mon ventre, j’avais l’impression que rien ne pourrait jamais t’atteindre, qu’aucune douleur ne toucherait jamais ton petit cœur d’enfant.
Il est vrai que je savais qu’inévitablement, toi, mon bébé, tu pleurerais un jour. Je ne niais quand même pas l’évidence.
Ce que je ne savais pas, par contre, c’est tout ce que tes petites larmes d’enfant me feraient ressentir. Des émotions nouvelles, vraies et si intenses.
Ton premier pleur, je l’ai attendu si impatiemment. J’avais la hantise qu’à ta venue au monde, je n’entende pas ton cri s’élever dans ma chambre d’hôpital. C’est avec un mélange de joie et de stress intense que je t’ai mis au monde, mon enfant. Tes secondes de silence m’ont paru une éternité. Puis, enfin, je l’ai entendu : ton premier pleur, celui qui a rempli tes poumons d’air pour la toute première fois. Et jamais de ma vie, je n’ai ressenti pareil soulagement. Tu vivais. Fort. Et moi aussi, à cet instant, j’ai pu reprendre mon souffle.
Dans un état de bonheur immense, je t’ai ramené avec moi à la maison. Je planais sur un nuage d’amour nouveau, intense. Nous apprenions à nous connaître, toi et moi. Puis, un beau matin, tu as pleuré. Toi, mon nouveau-né, tu tentais de me dire quelque chose, tu m’exprimais par tes pleurs des informations insaisissables pour la nouvelle maman que j’étais. Ces pleurs-là, mon amour, m’ont plongée dans un état d’incompréhension proche de la panique. Et si je ne faisais pas la bonne chose pour toi, mon enfant?
Puis sont venues les nuits, longues et difficiles. Tu te réveillais sans cesse, pleurant fort, parfois en te rendant au bout de ton souffle. Les périodes d’accalmie étaient rares, mais surtout, de courte durée. Les nuits que j’ai passées debout à tenter de calmer tes pleurs m’ont fait ressentir une forme d’épuisement inconnue jusque-là. Un épuisement qui allait s’étirer sur un bon nombre d’années encore.
Un jour, tu t’es mis à pleurer différemment. Je reconnaissais maintenant les signaux que tu m’envoyais à travers l’intonation de tes pleurs. Mais celui-là, il semblait lourd, profond. Je sentais bien que ce pleur-là, il te tordait l’intérieur, mon bel enfant. Je venais de découvrir malgré moi la souffrance d’une mère entendant son enfant pleurer de douleur. Oui, mon amour, tu étais malade. Et maman ne savait plus quoi faire pour apaiser ton malaise. Ta douleur, j’aurais voulu la vivre à ta place pour pouvoir effacer ce pleur affreux qui émergeait de ton petit corps. Malheureusement, c’était impossible. Et je souffrais avec toi.
Un beau matin, tes pleurs sont passés au niveau supérieur. Des pleurs chargés de hurlements de colère où tes propres émotions semblaient te submerger. Du haut de tes quelques années de vie, tu pleurais pour tout et rien, tout le temps. Une crise n’attendant pas l’autre, tes pleurs d’insatisfaction, je les entendais plus souvent qu’à mon tour. Et même si j’étais une bonne maman, ma patience me faisait parfois faux bond. Tes pleurs, mon amour, me rendaient quelquefois d’une impatience se rapprochant de l’exaspération. Et ensuite, du découragement. Est-ce que cette nouvelle façon de pleurer allait te passer un jour?
Les années, elles, ont passé. Tu as grandi. Tu pleurais moins souvent, tu réussissais bien souvent à exprimer ta tristesse par des mots, ce qui me rendait la tâche plus facile. Mais un bon soir, avant de te coucher, de grosses larmes se sont mises à rouler sur tes belles joues d’enfant. Des pleurs silencieux, que tu croyais que je ne verrais pas. Mais une maman, ça sent la peine de son enfant, même sans les mots. Puis, tu m’as parlé du rejet que tu subissais de la part de tes petits copains, de l’échec que tu n’arrivais pas à accepter. Ou même, quelques années plus tard encore, de l’immense douleur de ta première peine d’amour. Ces pleurs, mon enfant, m’ont brisé le cœur en miettes à chaque fois même si moi aussi, j’ai tenté de ne rien laisser paraître.
Puis un jour pas si lointain, tu seras un adulte épanoui. Tu te marieras peut-être, tu donneras probablement la vie à un enfant à ton tour. Sache que tous ces moments où tes yeux se rempliront de larmes de joie, je serai là, mon amour. Et je pleurerai encore à tes côtés.
Parce que même quand tu seras vieux, mon enfant, je serai toujours ta mère.
Et sache que tes pleurs ne me laisseront jamais indifférente.
AUDREY ROY |
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