J’ai fait une dépression post-partum et l’origine du mal a pris racine bien avant la naissance de mon petit.
À peine enceinte, je me suis donné pour mission secrète de lui épargner toutes souffrances, multipliant lectures et recherches et je me suis très vite heurtée à la réalité de la vie en réalisant que je ne pouvais pas maîtriser mon environnement et chacune des expériences que je vivais. Alors que je m’inquiétais, voulant toujours en faire plus et mieux, on me répétait que si j’étais stressée, bébé allait le ressentir voire porter ce stress toute sa vie. En voulant me soulager de mes inquiétudes, on m’incombait, à moi seule, toute la responsabilité du bon développement psychique de mon enfant, de sa conception jusqu’à ce qu’il se détache de lui-même. Forcément, la culpabilité et la colère sont vite devenues mes deux plus grandes compagnes.
À l’arrivée de mon bébé, j’étais très loin de ce que j’avais imaginé pour notre début de vie commune. Je m’en voulais de ne pas avoir pu vivre ma grossesse et mon accouchement comme je les avais rêvés. J’en voulais aux soignants de m’assommer de conseils, de leur avis orienté par leur spécialités et parfois même de jugements malgré ma vulnérabilité. J’en voulais à la société qui m’avait laissé croire que mettre un enfant au monde allait s’apprendre sans aide, aussi peu inné cela soit-il, et que j’allais reprendre ma vie d’avant comme si rien n’avait changé.
Pourtant, je voulais montrer que je pouvais m’occuper seule de mon bébé tout en étant capable de gérer tous les à-côtés du quotidien. Très vite, je me suis sentie submergée. Mon bébé et moi peinions à prendre nos marques. De toutes parts, on me répétait qu’avec le temps, je finirais par comprendre ses pleurs et les signaux qu’il m’envoyait, mais les mois passaient et je n’y arrivais toujours pas. Ces pleurs, que j’étais censée accompagner en adulte maître de ses émotions face à un bébé immature et dépendant, me comprimaient la poitrine et figeaient mon sang. Pour autant, laisser mon petit crier seul tout son soûl était inconcevable puisqu’on me répétait que c’était à proscrire, au risque de créer des traumatismes. Tout s’embrouillait dans ma tête et mon coeur. Je ne savais plus distinguer faim, inconfort, douleur, trop-plein d’énergie, fatigue, simple émotion forte à vivre. Alors je me sentais inapte à être maman et j’avais l’impression de tout faire de travers.
J’ai continué d’avancer à l’aveugle dans mon rôle de maman à la recherche de conseils et d’astuces que je peinais à suivre. Je ne démêlais plus le vrai du faux, l’habituation de l’exception, ce qui m’appartenait et ce qui n’était pas de mon ressort. Ce qu’on m’assurait comme le Graal de la détente pour bébé ne fonctionnant pas, je me jetais encore la pierre. Tant de fois ma gorge s’est nouée, mon cerveau a implosé, l’air me manquait. Mais je ravalais larmes, envie de hurler et de fuir car je devais rester neutre, sinon mon bébé, en bonne éponge émotionnelle, ne pourrait pas être serein, on n’arrêtait pas de me le dire. Mais comment être sereine quand on rejette ses propres émotions et ses propres limites?
Quand je me confiais, j’avais la sensation qu’on minimisait mes ressentis, souvent avec une intention bienveillante, alors je doutais encore plus de moi. À mes questions, je ne trouvais que des généralités sans explications concrètes. Pire, on me balançait des clichés obsolètes qui ne faisaient pas sens pour moi et me poussaient davantage vers les principes souvent trop rigides que j’avais fait miens. Je me sentais à la fois abandonnée et trahie par celles et ceux censés m’écouter sans jugement. Je suis alors plongée dans la quête de confirmation de mes ressentis, cherchant à prouver et à me prouver que j’avais raison. Tout cela pour palier à ce saut dans l’inconnu qui me terrifiait.
Plus je cherchais, plus je me sentais bombardée d’informations contradictoires. On me demandait de lâcher prise tout en maîtrisant et surveillant les quantités, les durées, les stimulations, l’alimentation, le sommeil, les courbes, le développement moteur, l’autonomie, les rituels pour mon bébé. Tout cela de préférence fait maison, dans la positivité constante et l’accompagnement naturel de l’enfant. Il ne fallait pas non plus que je m’oublie et que je me donne du temps. J’avais du mal à voir comment tout conjuguer, mais si d’autres y arrivaient, pourquoi pas moi?
Je me suis enlisée dans mes principes jusqu’à y tenir plus que tout au monde, devenant celle que je m’étais juré de ne pas devenir. Admettre que j’étais en partie responsable de ma dépression post-partum n’a pas été évident. Pourtant, plusieurs sonnettes d’alarme avaient été tirées de l’intérieur et de l’extérieur, mais ma souffrance m’aveuglait. J’y serais peut-être encore embourbée si je n’avais pas fini par écouter mon corps qui m’a ouvert les yeux et qui a éveillé ma raison.
Aujourd’hui, je garde en mémoire ce chemin chaotique parcouru. Si parfois je regrette qu’il n’ait pas été plus doux, j’en tire de grands enseignements. Au lieu de m’accabler, j’observe mon bébé s’épanouir malgré toutes ces difficultés de début de vie. Sa détermination, sa joie de vivre et sa soif d’explorer me prouvent que je n’ai pas été si mauvaise et surtout que je ne suis pas la seule actrice de son identité, qu’il possède déjà tout en lui. Je ne suis que la garante de son intégrité. Je sais que nous ne sommes qu’au début, que rien n’est déterminé et que nous deviendrons encore plus forts dans les tempêtes à venir. Nous avons choisi de vivre et j’ai appris à ne plus le faire aux dépens de ce que ma tête, mon coeur et mon corps ont à en dire.
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