Grand-maman,
Ce soir, après t’avoir visitée, la nostalgie s’est sournoisement pointée et j’ai regardé de vieux albums photos de toi et de nous. Au fil des pages, j’ai vu ton dos se courber, tes joues rondes s’amincir, tes cheveux devenir blancs, si blancs. J’ai aussi regardé les cartes d’anniversaire que tu m’as toujours si rigoureusement offertes au fil des ans et j’y ai remarqué que ton écriture avait peu à peu changé. Je ne voulais pas me l’admettre, mais je le voyais maintenant noir sur blanc; alors qu’auparavant, tes mots étaient clairs, droits et matures, l’incertitude s’y dessinait maintenant à chaque anniversaire de plus, devenant maladroits et incertains comme s’ils avaient été écrits par des enfants.
Grand-maman, je dois l’admettre, tu as tellement changé. Tu étais la femme forte de ma vie. Toujours sûre de toi, tu fonçais tête baissée et c’est ainsi que tu m’as appris la persévérance et la confiance en soi. Malgré ton époque, tu inspirais les femmes car tu n’avais pas besoin de ton mari pour prendre tes décisions, tu savais les prendre toi-même.
Mais ce soir, lors de mon passage dans le centre qui t’héberge, j’ai vu une femme frêle, fragile et insécure. Une femme effrayée, qui s’inquiète de tout, qui cherche ses mots, qui n’arrive plus à entretenir une conversation. J’ai vu l’incertitude dans tes yeux. L’incompréhension. La solitude. Parce que même avec nous, tu es seule. Nous n’arrivons plus à t’intégrer aux sorties et aux fêtes de famille, tout comme tu n’y arrives plus non plus. La culpabilité nous envahit souvent. Celle de ne pas aller te voir assez souvent, de ne pas faire plus d’efforts, de ne t’écouter qu’à moitié raconter pour la trentième fois une anecdote.
Tu as des comportements qui sont, bien malgré toi, enfantins, immatures, régressifs et ça me fait mal de te voir devenir impuissante et te transformer peu à peu en cette ombre, l’ombre de toi-même, avec de moins en moins souvent et de moins en moins longtemps de lumière dans les yeux qui nous rappelle celle que tu étais . C’est lourd pour moi, pour ta famille. Mais je réalise, même si tu n’arrives pas à l’exprimer, que tu dois traîner tout un poids qui se manifeste chaque fois que tu te butes à l’indifférence de tes proches alors qu’ils ne sont pas aussi attentifs à tes paroles qu’ils ne le devraient, qu’il ne le faudrait.
Ce soir, je me demande si c’est ça, le cycle de la vie; naître totalement dépendant, chercher son indépendance, l’acquérir et la perdre à nouveau. Si c’est bien le cas, je crains que la vie manque de sens.
Ce soir, j’ai le coeur gros. Je réalise que j’entame lentement mais sûrement le deuil de celle que tu as été même si tu es toujours là. Tu ne reviendras plus, je le sais maintenant.
Ce soir, je veux que tu saches que si je pouvais te bercer dans ta grosse chaise grise comme tu le faisais pour moi il y a trente ans, je le ferais. Non pas parce que je t’infantilise ou que je ne te considère pas comme une personne à part entière, mais parce que je t’aime et j’aimerais que mes bras t’apportent ce réconfort et cette chaleur dont tu sembles avoir tant besoin.
À défaut de pouvoir le faire, je vais continuer de bercer nos souvenirs dans mon coeur et chaque fois que nous nous verrons, je ferai en sorte qu’ils brillent dans mes yeux pour que, lorsque nos regards se croiseront, toi aussi tu te rappelles.
Que tu te rappelles que je t’aime.
Ont dirais que c’est écrit pour moi ce texte! Plus je lisais… plus j’avais les larmes au yeux car ont dirais que tu racontes mon histoire.