Mon fils,
Tu grandis si vite. Tu n’as presque plus besoin que je te berce pour t’endormir car tu préfères trouver toi-même le sommeil tranquillement dans ton lit. Tu commences à t’asseoir et à manger de la purée de patates douces en regardant ta cuillère avec un grand intérêt; bientôt tu voudras la tenir toi-même et je n’aurai plus besoin de te faire manger en faisant l’avion. Tu tiens ton biberon presque tout seul, alors je n’ai presque plus besoin de t’accompagner pour tes boires et bientôt, tu voudras marcher et aller où tu veux, surtout dans les endroits les plus dangereux comme des escaliers. Tu voudras choisir tes vêtements et tu prendras des heures à t’habiller pour aller à la garderie. Tu voudras attacher tes souliers, traverser la rue sans tenir ma main et aller jouer au parc avec ta gang. Puis viendra le jour où tu voudras aller en voyage avec des amis, tu voudras choisir tes cours au cégep, choisir ta première petite jobine. Et un jour aussi, tu voudras te laisser le droit de me tenir tête et de ne pas être d’accord avec moi, de te laisser le droit d’être fâché, même si ça sort souvent tout croche, la colère. Tu voudras vivre ta vie à ta façon, sans l’approbation de tes parents.
Tout ça s’appelle l’émancipation, mon fils, et lorsque je me rappelle la mienne, tous mes souvenirs goûtent le bonheur pur et la chaude liberté. La cage thoracique qui s’ouvre, l’air qui rentre à pleine porte, les rideaux des fenêtres qui virevoltent. L’été qui s’installe au fond du cœur. Traverser le boulevard en bigwheel à quatre ans, lâcher mon guidon de vélo et ouvrir mes bras, mon premier décollage d’avion lors de mon tout premier voyage. Puis tous les choix que j’ai pu faire par moi-même parce que j’écoutais ma petite voix. Ma grande voix. Celle que tout le monde devrait écouter plus souvent. Quelle belle liberté que de faire à sa tête, en écoutant ses tripes, pour remplir son coeur.
Mon fils, bien que mon coeur se serrera toujours un peu à toutes ces étapes où ma présence te sera moins, voire plus du tout nécessaire à tes accomplissements, je te souhaite de savourer ces instants d’indépendance avec un sentiment de légèreté et de confiance. J’espère te voir foncer dans ta vie à toi. De découvrir tes propres plaisirs et de les savourer. J’espère t’entendre me raconter tes aventures avec tes prunelles pétillantes et j’espère te savoir heureux, peu importe les choix que tu feras et les routes que tu auras empruntées.
Car un jour viendra, Fiston, où tu devras prendre le bras de ton propre enfant pour traverser la rue, où l’on devra te donner à manger, t’aider à t’habiller et même à changer tes couches de vieux pépère. Tu reperdras tes dents et attacher tes souliers te demandera un effort. Et tu voudras sûrement te faire bercer pour t’aider à trouver enfin le sommeil éternel, sans ressentir le poids de tes courbatures et le claquement de tes vieux os rouillés. Qu’auras-tu accompli toute ta vie? Où les vents t’auront porté? Petite girouette, j’espère que tu auras vogué sur plusieurs zéphirs et que tu t’y seras senti léger le plus possible.
Alors vole, mon grand garçon.
Grandis avec la liberté de te sentir aimé et épanoui.
Ma main ne sera jamais bien loin.
Ma chaise berçante non plus.
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