Ma grande,
Chaque jour, il y a des enfants qui disparaissent et cette possibilité représente l’un des pires cauchemars dans la vie d’un parent. Pour moi, ça devient plus angoissant à mesure que tu grandis. Parce que tu fais maintenant quelques rues seule à vélo, parce que tu me dis, avec raison, que tu seras bientôt assez grande pour marcher jusqu’à l’école. Moi je me dis, s’il fallait… S’il fallait.
Soudain, on me propose un miracle. Une façon de ne jamais te perdre de vue. Une petite puce déguisée en montre ou en téléphone, qui me rassurerait d’un doux clignotement constant, celui de ta présence. C’est tentant, hen? J’y ai pensé, j’y ai réfléchi, je l’ai considéré. Puis je me suis dit, non. Non.
Je me suis rappelée que tu es mon enfant, pas ma propriété et que je n’ai pas tous les droits sur toi.
Je me suis rappelée quelle valeur trônait au top de ma liste : la liberté. Et malgré le fait que tu n’as pas encore toutes tes dents d’adulte, en tant qu’être humain, tu as autant le droit que quiconque d’en bénéficier, dans la mesure de tes capacités.
Je me suis rappelée quel était mon rôle. Celui d’assurer ta sécurité, oui, mais aussi de te rendre autonome. Comment pourrais-je espérer y arriver si je suis moi-même incapable d’y croire? Comment t’apprendre à avancer dans la vie avec assurance, à avoir confiance en tes moyens et au monde qui t’entoure, tout en te faisant porter au poignet tout le poids de mes propres insécurités? N’est-ce pas là un message contradictoire?
Je me suis rappelée des films que j’ai vus, des livres que j’ai lus. Des récits surréalistes de science-fiction, créés par des gens qu’on a traités de fous et de paranoïaques. Et soudain l’idée de te géolocaliser m’a semblé être un premier pas vers cette ligne que je n’aurais jamais pensé qu’on atteindrait en tant que société. Un entrebâillement, microscopique en soi, mais qui pourrait vite devenir une porte grande ouverte pour beaucoup d’abus. Qui sait si on arrivera ensuite à la refermer? Puis j’ai réalisé que ceci me faisait plus peur pour ton avenir, que tout le reste.
Je me suis rappelée que c’est à chacun de tracer sa propre limite selon ses valeurs. Et c’est ici que j’ai cru bon, pour ton bien-être, tracer la mienne.
Non, je ne te suivrai pas à la trace, je n’espionnerai pas tes moindres mouvements, ni maintenant ni jamais. Même si ça serait rassurant. Même si ça semble bienveillant, anodin. Même si on me dit que s’il arrivait quelque chose, je m’en mordrai les doigts.
Parce que cette entrave, bien qu’immatérielle, est pour moi plus lourde de sens qu’on ne veut bien l’imaginer. C’est quelque chose que je ne souhaiterais même pas à mon pire ennemi alors comment pourrai-je l’imposer à la personne que j’aime le plus au monde?
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