J’ai perdu mon frère. Mes parents avaient fait de moi une petite soeur et la vie a fait de moi une enfant unique. Me voici plusieurs années plus tard, l’unique pupille de mes parents. La survivante. Être celle qui reste après que mes parents aient vécu le pire, c’est lourd. C’est chargé de responsabilités invisibles mais combien pesantes. C’est une pression infinie qui repose sur mes épaules.
Je sens une constante pression de performance puisque je ne veux pas décevoir mes parents qui mettent maintenant tous leurs espoirs sur moi. Je sens toujours cette pression, mais c’est moi qui me la mets. C’est vouloir être à la hauteur de leurs attentes, toujours et dans tout. C’est chercher leur approbation, comme si j’étais encore une enfant. C’est sentir que mon frère est inatteignable, sur un piédestal. Il est le souvenir cristallisé d’une personne de qui on ne se rappelle que du beau et du bon, parce que c’est comme ça avec les gens décédés, on ne veut qu’en penser du bien, comme si c’était mal de se rappeler de leurs moins bons coups. Peu importe les efforts que je ferai, je me demanderai toujours si c’était assez. Je me demanderai toujours si mon parcours est celui que mes parents ont espéré pour moi. Je me demanderai toujours si tu aurais mieux fait, mon frère, si tu étais encore là.
Perdre un enfant est la pire chose qui puisse arriver à un parent. C’est aussi un poids difficile à supporter pour un couple puisque la mort met souvent en lumière les différences entre les conjoints. Différences de valeurs, différences émotives, différences de deuil, différences de priorités et différences d’adaptation. Alors que j’étais plus petite, je préférais être docile, transparente, à mon affaire, peu dérangeante, pour éviter de rajouter de l’huile sur le feu d’une famille qui était sur le point d’exploser. Maintenant devenue adulte, les choses n’ont pas vraiment changé.
Je me sens responsable du bonheur de mes parents. Ils ont tellement eu de peine que je tente par tous les moyens de leur en éviter davantage. J’essaie de limiter le plus possible les situations de confrontation et je cherche à leur plaire pour les savoir heureux, même si parfois, mon bonheur à moi en prend un coup. C’est difficile d’imposer mes limites par peur de les blesser, même si parfois, mon bien-être, mon intimité ou mon mode de vie en paient le prix.
Perdre un frère d’une longue maladie, d’un suicide, d’un accident de travail, d’un accident de la route ou autres situations tragiques que la vie met parfois sur le chemin de certaines familles est difficile, mais c’est dans les difficultés qu’on trouve une belle qualité que peu de gens ont de nos jours : la résilience. Cette force qui nous permet d’avancer et de surmonter les embûches, petites et grandes, c’est le résultat de notre vécu.
La résilience n’est pas une qualité donnée à tout le monde mais grâce à toi, mon frère parti trop tôt, c’est une qualité que j’ai pu développer et qui m’habitera jusqu’à la toute fin, jusqu’au jour où on se retrouvera toi et moi.
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