Rien ne va plus, tu es au bout du rouleau. Ta tolérance aux aléas de la vie s’est évaporée. Tu n’arrives plus à suivre le rythme, tu es étourdie, tu as le vertige, tu t’es repliée pour reprendre ton souffle. Tu es changée. À travers ça, tu vois les tiens s’éloigner. Si ça t’attriste, tu comprends, même si parfois tu leur en veux. Leur faire face est difficile. Parce qu’ils ne comprennent pas, ne captent pas toujours ton mal-être. Ils sont désemparés, ils ne savent plus prévoir tes réactions. Ils sont parfois offusqués que tu ne leur parles pas, ne leur dises pas ce qui se passe. Si seulement ils savaient que tu voudrais, mais que tes pensées ne s’articulent plus comme auparavant. Comment exprimer quelque chose qu’on ne saisit pas totalement? Si seulement on pouvait te deviner…
Ce que tu voudrais leur dire, c’est que tu as besoin d’eux.
Tu as besoin de leur écoute, quand vraiment plus rien ne va.
Ça te soulage, au moins l’espace de quelques instants.
Parce que tes pensées sont si entremêlées que les verbaliser t’aide à les éclaircir et à leur donner un sens.
Tu le sais, c’est beaucoup demander quand tu ne peux leur rendre la pareille. Tu détectes leur impuissance quand ils ne savent pas quoi te dire ou qu’ils croient que tu leur demandes de te sauver : certains te font la morale, sinon ils glissent rapidement vers le mode « recherche de solutions » que tu connais souvent déjà. Pourtant, ce n’est pas nécessaire. Juste être écoutée et validée dans tes émotions te suffirait, s’ils savaient. C’est plus fort que toi, tu te sens incompétente chaque fois que tu dois leur expliquer que tu n’y parviens pas. Voyant que leur aide ne te guérit pas, ils se découragent, ont l’impression que tu n’y mets pas du tien. Ils s’éloignent.
Tu aimerais qu’ils voient au-delà des apparences.
Ce n’est pas parce que tu restes à maison depuis ton arrêt de travail que vraiment, tu ne fais rien.
L’absence de pleurs au quotidien ou le retour au travail ne sont pas synonymes de rétablissement complet.
Le fait que tu déclines leurs récentes invitations n’est pas signe de désintérêt.
En réalité, les crises d’anxiété font partie de ton quotidien, tu commences à le comprendre. Tu t’es vidée de toutes les larmes de ton corps depuis longtemps. Tu oublies tout, te lever le matin est un défi, tu peines à organiser tes journées et à prendre des décisions. La présence de tes trésors épuise les maigres réserves d’énergie que tu emmagasines durant ton sommeil. Mais les tiens prennent leurs distances car ils pensent que tu abuses du système, que tu fakes, ils se sentent délaissés.
Tu souhaiterais qu’ils prennent les devants.
Parce que tu te sens lourde, tu crains d’être un fardeau.
Entre la pile de vêtements à plier qui devient vertigineuse, la saleté qui s’amasse comme jamais auparavant sur ton plancher, la quantité phénoménale de Kraft Dinners que tes enfants ont mangés dernièrement, les comptes en souffrance qui s’accumulent depuis ton arrêt maladie, ton partenaire qui lutte pour ne pas tomber au combat lui aussi et l’incapacité à être pleinement présente émotivement pour tes enfants, tu as honte, tu te sens coupable.
Tu ne vois pas le bout.
Il paraît que tu dois t’activer, mais par quoi commencer? Quelle aide demander?
Tu es figée, ne demandes rien. Ils pensent que tu vas mieux, ils ont peur de déranger, alors ils restent dans leur coin et attendent que tu ailles vers eux.
Tes proches, tu aimerais qu’ils sachent que tu as juste besoin qu’ils soient là même si tu n’arrives pas à mettre en application leurs conseils bien intentionnés, même si tu ne te rétablis pas aussi rapidement qu’ils le souhaiteraient, malgré tes maladresses. Tu veux qu’ils te parlent de tout et de rien, qu’ils voient encore celle que tu étais avant, pour t’aider à croire qu’elle existe encore. Surtout, tu veux qu’ils se protègent aussi, qu’ils mettent leurs limites, mais sans disparaître.
Sans en faire des savants, tu souhaiterais que le terme ‘’maladie mentale » ne renvoie pas à l’image préconçue du paranoïaque dangereux, de l’individu qui change de personnalité comme de bobettes. Tu voudrais qu’on comprenne que santé mentale et quotient intellectuel sont deux choses bien distinctes, que la dépression est un gouffre d’énergie, que l’anxiété afflige d’une tonne de manifestations physiques réelles.
Tu aimerais simplement qu’on saisisse qu’il ne s’agit pas que de se donner un coup de pied au derrière ou de prendre de la médication : c’est une combinaison d’éléments qui t’aidera à te rétablir, recette que tu cherches encore, mais dans laquelle les tiens sont un élément indispensable. Si on pouvait lever les tabous, s’ils étaient sensibilisés, tu aurais peut-être un peu moins de mal à leur dévoiler ta souffrance…
Lâche pas, belle maman, un pas à la fois, tu vas atteindre le sommet de ta montagne.
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