Ma fille,
Depuis un moment, ton papa et moi ne vivons plus dans la même maison. On a fait ça en douceur, espaçant de plus en plus le temps chez chacun. Tu fais ça comme une championne, sans jamais te plaindre. Tu changes de maison au gré de notre rythme de vie avec un sourire impeccable et une joie de vivre contagieuse sans jamais t’y opposer et nous te trouvons incroyable.
Quand ton papa et moi avons décidé de nous séparer, nous t’avons imposé une nouvelle vie qui n’est pas toujours facile. Tu n’as pas eu un mot à dire. Tu as suivi et c’est tout. Je me sentirai toujours un peu coupable de ça tu sais.
C’est comme si tu menais une double vie. Des consignes à suivre chez papa et d’autres chez maman; quand tout le monde demeure dans le même environnement, la vie est plus facile à saisir avec toutes ses contraintes, ses valeurs et ses façons de faire.
Chez moi, on fait beaucoup de bricolage, des recettes, des jeux de cachette et des dîners collées devant Dora et je sais que chez Papa, tu joues beaucoup dehors, tu te promènes à vélo, tu vois beaucoup d’amis et tu fais plein d’activités extérieures.
Mais dis-moi, quand tu grandiras, est-ce que tu te mettras à préférer être chez l’un ou chez l’autre ou bien tu comprendras que chacun a du bon ?
J’ai peur, princesse. Peur que tu décides un bon jour que les promenades à vélo priment sur nos biscuits aux chocolat. Peur que nos activités de cocooning t’ennuient alors que les fins de semaine de camping avec papa continuent de t’enchanter.
Je suis terrorisée à l’idée que tu me demandes de rester pour toujours chez papa en m’annonçant que tu viendras me voir un week-end de temps en temps. En écrivant ces mots, j’ai mal. Ça me travaille dans le ventre et mes yeux se remplissent de larmes. Comment pourrais-je bien vivre ça? Mon trésor, ma raison de vivre, ma petite fille que j’adore.
Si ce jour arrive, je ne saurai pas quoi te dire sans être purement égoïste en ne pensant qu’à la peine et au sentiment de vide que je ressentirai. À la jalousie aussi. Pourquoi choisirais-tu volontairement de ne plus me voir que quelques jours par mois, moi qui t’aies tant donné?
Et si le contraire se produisait, si c’est moi que tu choisissais, ce serait tellement difficile de te garder avec moi tout en sachant la peine énorme que cela ferait à ton père.
Tu sais ma fille, je sais que ce n’est pas toujours facile, cette double vie. On s’ajustera tu verras. Nous t’écouterons et essayerons très fort de répondre à tes besoins et tes envies. Mais de grâce, ne nous fais jamais ça.
Je vais aller me coller, tu es chez moi cette semaine. Profiter de chaque petit moment où tu m’honores de ta présence.
Je t’aime.
« ma raison de vivre », c’est dangereux, voire toxique quand un enfant est la raison de vivre de son parent. Ça veut dire beaucoup et ça n’a rien de charmant ou bucolique. Il faut travailler là-dessus. S’en trouver d’autres raisons de vivre, devenir une personne excitante, passionnante, avec une vie riche et comblée, des projets, des amis, un travail valorisant. C’est très dur pour un enfant d’être là raison de vivre de son parent. Écrasant et culpabilisant. Un des plus beaux cadeaux que l’on puisse faire à son enfant est de lui donner l’exemple d’un parent heureux, autonome et équilibré.
Ce qui est dangereux, c’est qu’un enfant ne soit pas la raison de vivre de ses parents. Être parent, c’est vivre pour ses enfants. Vos articles m’aident beaucoup, Margaux. À vous lire, cela saute aux yeux que votre fille est très équilibrée et que vous prenez quotidiennement sur vous pour que cela reste ainsi. Bravo !