J’ai toujours voulu allaiter. C’était non négociable. Je trouvais ça beau. Et simple. Et naturel. Il n’a jamais été question que je ne t’allaite pas.
Ton arrivée ne s’est pas totalement passée comme prévu. Rien de bien grave, mais tu as dû être transféré dans un centre spécialisé. Je t’ai eu dix secondes sur moi. Je t’ai revu deux heures plus tard quand tu es parti en ambulance. Je n’ai pas pu te suivre. Je suis donc restée à l’hôpital en m’inquiétant pour toi et aussi, pour mon allaitement.
Quand j’en ai parlé aux infirmières, elles m’ont dit de ne pas m’inquiéter. Que je n’avais qu’à extraire manuellement mon lait et que ça serait correct (ça mon fils, ça veut dire que je devais me squeezer la boule avec mes mains ben ben fort dans l’espoir que du lait sorte). J’ai bien essayé, mais ça ne sortait pas. J’avais eu de tes nouvelles par ton papa et je savais que tu allais bien. Mais l’hôpital où tu étais demandait que je t’apporte de mon lait quand j’aurais mon congé. Et du lait, j’en avais pas.
J’ai demandé à avoir un tire-lait et on me l’a refusé puisque je n’étais pas un cas urgent. Tu étais aux soins intensifs dans un hôpital pour enfants, mais semble-t-il que ce n’était pas assez. Je t’ai revu presque vingt heures après ta naissance. Je me suis installée et je t’ai mis au sein. Je pensais que ça allait bien. L’infirmière était débordée et n’avait pas le temps de venir nous voir. Après trente minutes, elle est venue et on a compris que ça faisait trente minutes que tu tétais dans le beurre : j’avais pas de lait. Ou quelques gouttes… mais clairement, je ne fournissais pas.
C’est là que ça a dérapé : on m’a ploguée sur le tire-lait. Toi, tu étais sur le soluté en attendant de reprendre des forces. Moi, je devais tirer mon lait aux trois heures. Vingt minutes par sein. La première fois, rien n’est sorti. La deuxième non plus. La troisième fois, je me suis mise à pleurer parce que, encore une fois, je ne fournissais rien. J’étais à sec. On m’a envoyé une charmante conseillère en lactation qui m’a tout simplement dit que je ne voulais pas assez. Que je ne faisais pas les efforts nécessaires. Que je ne pensais pas assez à toi. J’avais beau lui expliquer la situation, lui rappeler que j’avais été presque vingt-quatre heures sans te voir, lui dire que je dormais assise sur une chaise alors que je venais d’accoucher, elle, elle se bornait à me dire que non, je ne pouvais pas ne pas faire de lait. Et, que, de toute façon, j’avais rien d’autre à faire que de tirer mon lait.
Ça faisait presque vingt-quatre heures que j’étais à l’hôpital avec toi et j’avais réussi à me tirer un gros cinq millilitres de lait. Le temps était venu de te nourrir et médecins et infirmières me mettaient de la pression. Et là, j’ai décidé que c’était assez. Les conditions gagnantes n’étaient pas là. Je braillais ma vie et j’en avais assez de me sentir comme une vache laitière qui ne produit pas. Cet allaitement que je désirais tant allait prendre le bord et tu serais nourri à la formule, point final.
On a donc commencé à te gaver. Moi, j’avais abdiqué. Puis une infirmière est arrivée. Elle m’a gentiment proposé d’essayer de te faire boire juste un peu au sein. Quelques minutes. Et qu’on compléterait avec le biberon. Que peut-être t’avoir sur moi stimulerait ma production. Et c’est ce qui est arrivé. Après presque trois jours, j’ai commencé à produire du lait. J’ai jamais eu de giga montée de lait, mais j’étais capable de t’allaiter et on complétait avec de la formule. C’est ce que j’ai dû faire les six mois que je t’ai allaité d’ailleurs. Parce que malgré le tire-lait, les produits naturels et les trucs de grand-mère, j’ai jamais produit assez de lait pour combler tes besoins.
Avec le recul mon fils, j’ai déculpabilisé et j’ai arrêté de me dire que c’était de ma faute. Parce que je suis persuadée que si j’avais pu partir avec toi au lieu de rester toute seule à me morfondre à l’hôpital, mon allaitement aurait pu fonctionner. Et je le sais parce que je n’ai jamais eu de problème avec ton petit frère.
C’est quand même étrange que dans une société où on prône l’allaitement, on ne permette pas à la maman de suivre son bébé. C’est encore plus étrange que dans une société « folle de ses enfants », on laisse des bébés de quelques heures partir seuls sans leurs parents.
Tu n’avais que quelques heures et déjà mon garçon, tu étais une victime du système.
Oh mon dieu je braille ma vie, on croirait lire mon histoire. J’ai eu la chance d’avoir mon bébé avec moi, mais pour ton histoire sur l’allaitement c’est exactement ça! Ce fut la chose la plus difficile que j’ai eu a faire. Le tire-lait, complémenter avec la formule, le fenugrec, le chardon bénit, l’avoine, etc. J’appréhende déjà ce moment avec mon deuxième (et je ne suis pas enceinte). Merci pour ton texte!
Wow… moi aussi j’ai l’impression de lire mon histoire. Mon bébé a été gavé avec des quantités astronomiques de formule alors que j’ai eu ma montée de lait au bout de 6 jours. On m’a refusé le tire lait électrique pendant plusieurs jours parce que je n’étais soit disant pas un cas compliqué. Je tirais 0.2 ml aux 3 heures alors qu’elle en buvait 90 ml… mais on me disait sans cesse de ne pas me stresser avec ça et on a voulu me renvoyer chez moi alors que je n’étais même pas capable de nourir mon enfant..
Et tout ça à cause des délais pour que je puisse le mettre au sein et leurs protocoles de gavage… J’ai eu le chance de rester 1 semaine hospitalisée dans le même hôpital que bébé et d’avoir beaucoup d’aide, mais j’avais quand même l’impression d’être la maman hystérique qui veut trop allaiter et qui s’en fait pour rien alors que le système a failli faire rater complètement mon allaitement…