Maman, tu m’as brisée. Tu as cassé quelque chose en moi.
Quand tu m’as raconté à maintes reprises, tous les plis et les travers de papa, comme on se confie à une bonne amie que tu n’avais pas, tu as, sans le savoir, ruiné ma capacité à faire confiance aux hommes. Parce que si on est déçue de notre père, il est difficile de penser laisser entrer un autre homme dans notre vie sans craintes.
Maman, tu m’as bousillée.
Quand tu m’as si souvent et explicitement laisser entendre que si papa t’en voulait, c’est que tu ne lui avais pas fait la faveur souhaitée au lit la veille. Ça m’a dégoutée de l’amour. Parce que quand on aime, on respecte, on ne rejette pas.
Maman, tu as érigé un mur entre papa et moi et en as tiré profit.
Quand tu m’as confié prendre des antidépresseurs et te porter mieux quand j’étais là, parce que moi, je savais tenir tête à papa, tu m’as confié une mission : celle de te défendre, te sauver des griffes de papa.
Inconsciemment, tu as fragilisé mon amour-propre.
Parce que la petite fille introvertie que j’étais buvait tes paroles et j’ai cru mon jugement déficient. Comment serai-je en mesure de voir si une personne est bonne si j’ai pu admirer une personne qui rend ma mère si malheureuse? Sans compter toutes ces ressemblances qui me rapprochaient de papa que je tentais de refouler… j’ai cru que j’étais mauvaise à chaque fois qu’on me les a notées, l’as-tu déjà réalisé?
Oui maman, tu es coupable de tout ça.
J’ai maintes fois repoussé des avances, parfois malgré une attirance réciproque, parce que si c’était ça être en couple, je préférais être seule.
Vois-tu, maman, le problème est que je n’étais ni ton amie, encore moins ta confidente. J’étais ton enfant.
Par tes récits et tes confidences, maman, tu m’as volé une partie de mon enfance.
Prématurément, tu as fait éclater en mille morceaux mes illusions de petite fille qui rêve du grand amour. Tu m’as tirée de mes tracas d’enfants pour m’entraîner avec toi dans tes soucis d’adulte.
Je me sentais perdue, tourmentée.
Non, papa n’est pas blanc comme neige. S’il est sain qu’un enfant sache que tout n’est pas toujours rose dans un couple, il ne l’est pas que l’enfant soit impliqué et partial. Je n’avais pas le jugement ni le discernement pour absorber le flot et la teneur de toutes tes confidences sans dégâts. Tu m’as engloutie.
Si tu lisais cela maman, tu serais anéantie….
Et pourtant, tu as été une bonne maman.
Oui. N’oublie pas maman, tout n’est pas noir ou blanc. Il y a le gris aussi. Soit, tu m’as volé un morceau de mon enfance, tu l’as troqué pour un peu de compagnie et de réconfort dans tes tourments. Mais de ces pièces de mon enfance, il m’en est restées aussi, rassure-toi.
Le temps fait bien les choses. J’ai vieilli. En prenant de l’autonomie et des distances, j’ai pris conscience de tes défauts, tes erreurs. Les qualités de papa ont surpassé les défauts et gestes que je lui reprochais telle ton ombre.
J’ai été résiliente maman.
Paradoxalement, c’est sûrement grâce à toi.
De l’amour, je n’en ai jamais manqué.
Tu m’as toujours poussée à persévérer.
Tu as su faire confiance en mon jugement, tout en me laissant faire mes folies, en gardant un œil sur moi.
Depuis que je suis devenue maman, je songe parfois à mon enfance et mon adolescence teintées par ces épisodes. Rassure-toi maman, je n’en souffre plus et ne t’en veux plus. En fait, dans les moments de doute, j’y repense et je suis alors réconfortée de voir que malgré les erreurs que l’on peut faire, mes enfants sauront se relever.
Je ne dis pas que je ne ferai pas d’erreurs, bien au contraire. Lorsqu’on est envahi par nos émotions, on peut facilement céder les saines frontières. Si des propos semblent inoffensifs à première vue, ils peuvent être pernicieux et faire grandir trop vite les enfants qui n’auraient pas dû les entendre.
Je t’aime maman.
Je veillerai à ne pas faillir et à préserver la foi de mes enfants en l’amour.
Je veillerai à les laisser être des enfants, tout simplement.
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