À toi, la belle fille que j’ai croisée dans la rue, je te hais.
Tu as bien lu. Je l’ai dit. Pis je regrette même pas. Bon. Je t’haïs pas tout le temps. Souvent, mais pas tout l’temps. Il y a des moments où je me trouve pas pire hot pis dans ce temps-là, j’ai presque l’impression de faire partie de la même gang que toi. J’ai presque l’goût de te faire un clin d’œil complice quand je te croise. Un clin d’œil qui veut dire : « hey beauté, toi pis moi, on se comprend! » Mais c’est ben rare que ça dure et plus souvent qu’autrement, je déchante assez vite et je me remets à te haïr sur un moyen temps! Il y a des moments où vraiment, c’est pire que pire… Laisse-moi t’en décrire quelques-uns. Juste quelques-uns…
Il y a ce moment, où pour ma santé physique et mentale, je cours. Pour aider ma ligne aussi, on se le cachera pas. Je m’habille de mon plus beau legging et en jetant un œil craintif et furtif au miroir sur pied, je me dis que c’est pas ce qu’il y a de plus beau comme body. Mais bon, j’essaie de me convaincre que je me fiche bien de ce que les gens peuvent penser en me voyant dehors attriquée de même. Je le fais pour ma santé et je suis bien mieux que tous ceux qui ne bougent pas. Ça fait que j’attache mes lacets, mets ma musique et je pars fière. La confiance dans l’tapis. Rendue à la fin de mon premier kilomètre, déjà à bout de souffle, le visage écarlate et les cheveux tout défaits, je te croise. Oui, je te croise toi, la belle fille qui court. Tu as le même legging que moi, mais il te va comme un gant. Tu commences ton septième kilomètre le sourire aux lèvres, pas une goutte de sueur. Tes cheveux bien coiffés suivent ton rythme et tes joues sont d’un beau p’tit rosé santé. Tu passes à côté de moi à grandes enjambées de gazelle et je te hais. Très fort.
Laisse-moi maintenant te parler de la plage. J’adore la plage! La sensation du sable chaud sous mes pieds, la douce brise, la couleur de l’eau, le bruit des vagues et de mes enfants qui rient en s’amusant naïvement. À un certain moment, remplie de gratitude et d’un lâcher-prise surprenant, j’oublie mes bourrelets, ma cellulite, mes vergetures et mon teint blanc-vert parsemé de coups de soleil inégaux. Je réussi presque à m’assumer complètement en maillot. Deux pièces. Le cœur léger, je regarde mon chum et mes enfants et je vis un moment parfait. C’est là que je te vois à l’horizon. Oui, je te vois toi, la belle femme en bikini presque mono. Tu marches avec élégance, ton bébé de trois mois accoté sur ta hanche à la courbe parfaite. Ton bronzage est doré. Ta peau est lisse et ferme. Tu n’as pas de bourrelets. Aucun. Tu te cherches une place sur la plage presque infinie et c’est à côté de mon bonheur que tu décides de venir t’installer. Et je te hais. Profondément.
Des occasions où je te déteste, il y en a plein… au party d’Halloween dans ton costume de femme-chat, au mariage de ma cousine avec tes jambes qui finissent plus, au resto quand tu commandes une poutine qui te fera pas grossir, quand mon chum ose un regard dans ta direction… Ma vie est remplie de petits moments de mépris à ton égard.
Mais trompe-toi pas là. Je vis pas dans la haine constante et je suis quand même pas un pichou. J’suis une fille cute ordinaire. La plupart du temps, ça me convient pis je fais avec. Dans le fond, je fais rien que t’envier ben ben fort . C’est comme un compliment que je te fais que de t’haïr. Pis c’est pas vraiment toi que je maudis… c’est mon reflet pas à mon goût que tu me renvoies. La beauté est dans l’œil de celui qui regarde. C’est donc à moi d’ajuster ma vue pour bien voir et de trouver du beau lorsque je croise mon reflet quelque part.
Mais je t’avertis, je risque quand même de continuer à t’haïr souvent parfois… ça me fait du bien!
Hey, nous sommes toutes belles !!! c’est ce que je me répète quand je vois mon (moche) reflet ^^