Quand nous nous sommes rencontrés, j’ai cru que le conte de fées auquel j’étais destinée depuis mon enfance se concrétisait enfin à retardement. Le cœur écorché par la triste fin de l’histoire de ma famille nucléaire quelques années plus tôt, j’ai cru que notre amour s’avérerait le havre de paix dont il avait besoin pour reprendre des forces et goûter à nouveau au bonheur tranquille. Moi et mon fils, toi et tes enfants; notre avenir me semblait d’une simplicité qui me donnait envie de crier de joie à toute heure du jour et de la nuit.
Quand nous avons emménagé ensemble, le paysage s’est obscurci. Parce que pendant toutes ces années où nos cœurs ne battaient pas au même rythme, nous avions grandi dans notre rôle de parent dans deux univers complètement différents et ils se confrontaient maintenant au quotidien. Nos valeurs et toutes ces petites choses que nous tenions à maintenir dans le quotidien de nos enfants respectifs se rencontraient et se défiaient dans un grand duel où il ne pourrait y avoir qu’un seul gagnant, par souci de justice et d’égalité pour nos bébés. Au fil du temps, bon gré mal gré, nous avons multiplié les compromis et nous avons parfois changé à contrecœur pour devenir ces parents qui composaient avec une réalité dont ils ne connaissaient rien jusque-là.
Quand nous avons emménagé ensemble, le paysage s’est obscurci. Parce qu’alors que j’avais l’habitude de me dédier corps et âme à mon garçon, je devais soudainement partager mon attention en quatre et j’ai eu l’étrange impression de l’abandonner, de le négliger. De ne plus pouvoir prioriser ses besoins comme me le dictait mon instinct. De ne plus pouvoir lui dire oui par souci d’égalité. De ne plus pouvoir le gâter sans gâter les autres. De ne plus pouvoir partir en tête-à-tête avec lui pour que le fossé entre notre vie d’avant et celle d’aujourd’hui cesse de se creuser sans craindre de te blesser.
Quand nous avons emménagé ensemble, le paysage s’est obscurci. Parce que je n’avais pas l’habitude de vivre dans le chaos ni dans un vacarme permanent qui ne prend fin que lorsque tout le monde dort à poings fermés. Parce que je n’avais jamais eu à superviser des dizaines de chicanes et de crises de larmes au quotidien. Parce que préparer les repas pour deux est d’une simplicité désarmante en comparaison à la gestion des repas pour trois enfants aux goûts bien disctincts toujours heureux de laisser savoir au chef qu’ils n’aiment pas le contenu de leur assiette. Parce que le lavage s’est multiplié par cinq et le montant de l’épicerie par trois.
Quand nous avons emménagé ensemble, le paysage s’est obscurci. Parce que malgré toute ma bonne volonté, je n’ai pas su aimer tes enfants comme j’aurais souhaité le faire. Ils sont restés les tiens et le resteront à jamais. Je n’arrive pas à m’y attacher comme je le voudrais et leurs prouesses et leurs rires n’arrivent pas à m’émouvoir à la hauteur de leur valeur. Malgré le temps qui passe, une partie d’eux continue de m’être étrangère. Cette partie qui a vu le jour bien avant moi. Souvent, leur personnalité m’échappe et parfois même me contrarie et toutes les fois que je sens la colère envahir mes tripes devant leurs crises ou leurs cris, elle est systématiquement écrasée par la culpabilité de ne pas les aimer assez fort. Comprends-moi bien, j’ai de l’affection pour eux mais je n’arrive pas à la pousser plus loin ni plus haut et je m’en veux.
Non, rien ne s’est passé comme je l’avais prédit. Sachant à quel point la maternité est imparfaite et l’amour l’est aussi, j’aurais dû prévoir que la famille recomposée n’aurait rien d’une sinécure et que la route serait ardue pour retrouver un bonheur tranquille.
Mais malgré toutes les imperfections de notre vie, malgré les épreuves et les obstacles, les discussions et larmes versées, quand ton regard s’accroche au mien, je sais que ma place ne sera plus jamais ailleurs qu’auprès de cette famille qui n’a rien de parfait mais dont le coeur de chacun des membres est assez grand pour trouver la force de s’aimer un peu plus fort chaque jour et de poursuivre sa route sur le chemin chaotique d’un bonheur bien particulier que seules les familles recomposées connaissent.
Infiniment merci pour ce billet qui vient de me sauver, peu importe l’issue de ma famille recomposée que je hais parfois, non, que je hais souvent ! Une vraie bouffée d’oxygène. Même parcours, mêmes ressentis…