Il fait noir. Seul le bruit de la chaise berçante qui craque sous mon élan et celui de ta petite respiration douce, calme et apaisante brisent le silence. Tu as posé ta petite main doucement sur mon sein et tu t’es endormi sur moi en te nourrissant à la source exclusive qui t’abreuve depuis ta naissance. Tu tètes encore parfois pour recevoir un peu de ce liquide soyeux et réconfortant. Je te laisse le faire pour profiter encore un peu de ce moment qui se terminera sous peu.
Je ne serai plus nourricière encore longtemps, je dois m’y résoudre. Et au fond c’est bien, je le sais; tu grandis, tu deviens plus indépendant. Si c’était à prévoir, si tout cela est aussi normal que sain, ça ne m’en tiraille pas moins le coeur. Ce moment si répétitif et fréquent au début s’est espacé depuis, mais peu importe les intermèdes, t’allaiter est notre moment, un moment qui n’appartient qu’à nous. Jusqu’ici, personne ne pouvait me le prendre.
C’est un peu comme si on coupait de nouveau le cordon, ce lien invisible qui nous unit.
J’aime tant te donner le meilleur de moi, le meilleur pour toi. Ça me va de me lever nuit et jour pour que tu ne manques de rien. Mais au-delà du simple fait de te nourrir, il y toute cette tendresse, cette affection, ce temps passé en symbiose que nous vivons. C’est si précieux. Peu importe la journée ou les événements, ce moment est ressourçant et il me garde ancrée dans ce qu’il y a de plus important, il me donne l’impression que malgré le retour au travail et toutes mes obligations, nous sommes toujours une équipe, un duo lié et privilégié par ce lien.
Je sens que tu te détaches, que tu n’as plus besoin de boire à mon sein comme à la fontaine de jouvence, que tu es de plus en plus près de la prochaine étape. Que tu y arrives doucement à ton propre rythme. Je veux respecter cela, c’est une évidence, mais même si cette émancipation est belle, c’est aussi un grand deuil.
Ce soir, je te nourris pour la dernière fois. Après avoir été ta maison, j’ai été ta source de victuailles, mais que serai-je après ?
Tu ouvres les yeux, la bouche encore pleine tu me souris. Ta petite voix pleine de sommeil prononce un doux « maman », plein de sécurité, de confort. Tu as tellement raison, je suis ta mère. Si j’ai eu l’honneur de fabriquer de mon corps la merveille que tu es, si j’ai eu l’honneur de te nourrir et combler tes besoins à même mes propres sources, j’ai l’honneur et le cadeau éternel d’être ta mère et ça aussi, ce n’est qu’à nous.
Un lien invisible si fort qu’il en est presque tangible nous lie et ce peu importe ce que la vie nous réserve. Il nous reste des milliers de moments de perfection comme celui-là à vivre. Des moments différents, uniques.
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