man alone in dark room

La souffrance de l’homme qui ne bande pas

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Mon colocataire m’appelle sur mon cellulaire. Je ne réponds pas. Je suis au restaurant avec mon père. Mon téléphone vibre une seconde fois. Désolé dad, je dois décrocher. Ce n’est pas dans son habitude de m’appeler deux fois en deux minutes. Ça doit être important.

Ce qu’il m’annonce me scie les jambes. Sa voix est brisée, presque inaudible. Je pousse un long cri étouffé, et j’éclate en sanglots dans le resto. Mon père me supplie des yeux de lui expliquer ce qui se passe. Je suis incapable de parler. Notre grand ami, notre colocataire, notre 3e mousquetaire, a été retrouvé pendu chez sa mère.

Spontanément, tous ses amis se rassemblent à notre appartement. On boit, on fume, on pleure. On encaisse le choc. Comment a-t-il pu faire ça? Il est beau, il est brillant, il est aimé de tous. Il est voué à un grand avenir. Pourquoi commettre un tel geste?

Tout le monde a sa théorie. Mais moi je sais pourquoi. Il m’avait parlé quelques semaines auparavant. C’était la première fois qu’il s’ouvrait sur son « problème ». Lui qui avait normalement l’air si confiant, paraissait à ce moment-là complètement vulnérable. Il était honteux, souffrant, dévasté. Il vivait une réelle détresse psychologique.

Il avait des difficultés érectiles. Il adorait les femmes, mais quand venait le temps de passer à l’acte, il devenait nerveux et était incapable de garder une érection. Selon son médecin, il faisait de l’anxiété de performance. Même le Viagra n’arrivait pas à traiter sa condition. Il était anéanti. Sa vie ne faisait plus aucun sens. Il m’a avoué qu’il avait maintes fois pensé au suicide. « Un homme qui ne bande pas est un homme sans âme », m’a-t-il dit.

Ça peut paraître trivial comme problème. Sur l’échelle des problèmes de l’humanité, il y a pire. Mais il faut imaginer ce que cela peut représenter pour un jeune garçon populaire comme lui. Nous étions dans la jeune vingtaine. Pour être un mâle, un vrai, il fallait multiplier les conquêtes, s’en vanter, faire l’étalage de nos prouesses sexuelles. Ça faisait partie de notre identité. Or, lui était contraint à inventer, changer de sujet, mentir à ses meilleurs amis. Il se sentait diminuer en tant qu’homme. Le poids de la honte lui pesait lourd sur les épaules.

Il est également tombé amoureux à plusieurs reprises. Il s’obstinait à essayer de coucher avec des femmes. C’était plus fort que lui. Il avait ce besoin d’amour que l’on a tous. Mais chaque fois cela se soldait par un échec. Il n’a jamais réussi à avoir une relation durable. Des filles se sont fâchées contre lui. Des filles ont ri de lui. Des filles se sont senties insultées, car elles croyaient qu’elles ne l’excitaient pas. À chaque fois, c’était un coup de poignard dans son cœur, dans son âme. Il rêvait de se marier, d’avoir des enfants. Mais comment arriverait-il à fonder une famille? Comment pouvait-il avoir un futur? Il se voyait condamné à vivre une vie de célibataire humiliante.

Je n’ai pas su trouver les bons mots à l’époque. Je n’étais pas outillé pour l’aider. Je ne lui ai répondu que des banalités. Aujourd’hui encore je me sens coupable. J’aurais dû lui dire que ça peut se régler; une thérapie peut aider; le temps peut arranger les choses (la pression de performer est grande à cet âge-là); une femme qui l’aimerait vraiment, qui le comprendrait, ferait sûrement disparaître cette nervosité. Mais je n’ai rien dit de tout cela. J’ai plutôt roulé un joint et on a écouté la game de hockey. Nous n’avons plus jamais abordé le sujet.

Quelques semaines plus tard, un vendredi soir, nous sommes sortis dans un bar. Il a embrassé une fille et a passé la nuit chez elle. Le dimanche, sa mère le retrouvait les pieds ballottant dans la cage d’escalier. Il avait décidé d’arrêter de souffrir. C’était toutefois le début d’une grande souffrance pour ses proches.

Crédit : TZIDO SUN/Shutterstock.com

Charles

Je suis un papa moderne. Un papa monoparental. Un papa très impliqué dans la vie de son fils, dès le jour -200. Je revis mon enfance à travers mon petit garçon. J'en profite au maximum. Vu de l'extérieur, on peut penser que je suis en plein contrôle de mes moyens. En réalité, je suis envahi par le doute et la culpabilité de ne pas avoir pu offrir une famille unie à mon fils. Je fais parfois des erreurs, mais une chose demeure constante: je fais tout avec amour.

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1 Comment

  • J’aurais tellement voulu que ton colocataire trouve juste la personne qui aurait changé toute sa vie. Cette personne qui l’aurait libéré de cet enfer. Parfois c’est si difficile d’être un humain.

    RIP

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