Nous étions dans un souper de famille. Mon oncle avait pris quelques bières et se remémorait sa vingtaine : « à l’époque, on savait faire le party ! », radotait-il. Mes jeunes cousins l’écoutaient d’une oreille distraite, un œil rivé sur leur iPhone; ils envoyaient des snaps à je ne sais quelles filles. Mes tantes parlaient trop fort, comme d’habitude. Mon fils profitait de mon inattention pour se gâter dans les bols de chips qui traînaient sur la table.
L’atmosphère était légère, la musique de fond rythmée, les éclats de rire fréquents. Puis, j’ai entendu mon frère parler de moi à un cousin.
─ Dans le fond, Charles (moi), c’est un père-mère. Il s’occupe de son gars comme une femme. Il lui fait des petits repas équilibrés, il est tout le temps en train de lui donner des becs et il lui met même de la petite crème lorsqu’il a la peau sèche!
Mon cousin acquiesçait avec un sourire moqueur. Ça m’a énervé. Ce n’était pas la première fois que j’entendais parler de ce supposé concept du père-mère, un concept que je trouve complètement ridicule. Je n’ai pas pu m’empêcher de me mêler de leur conversation.
─ Euh… Pardon? Je m’occupe de mon enfant comme une femme? Être présent, aimant, se soucier du bien-être de son enfant, ce sont des caractéristiques réservées aux femmes? Est-ce que je devrais absolument servir de la pizza et des hot-dogs tous les soirs pour me sentir homme? Suis-je plus efféminé, car je sais comment donner un bain, changer une couche et utiliser un mouche-bébé?
J’avais élevé la voix. Un silence s’était installé autour de la table.
─ Ce n’est pas ce que je voulais dire, a répondu mon frère, surpris par mon intervention.
─ Ah non? Alors peut-être que tu essayes de te cacher derrière le concept du père-mère pour te déculpabiliser de ta propre médiocrité en tant que père? Tu choisis la voie de la facilité avec tes kids sous prétexte que t’es un vrai gars, c’est ça? J’imagine que ça te conforte dans ta masculinité de préférer tes 5 à 7 à la routine du dodo, de laisser ta blonde aller à tous les rendez-vous médicaux ou de discipliner tes enfants seulement le dimanche lorsque tu veux écouter le football en silence?
─ Ben voyons! Calme-toi. Je trouvais juste que t’étais aussi compétent qu’une mère. Tu m’impressionnes.
─ Encore un commentaire sexiste! Le pire, c’est que tu ne t’en rends même pas compte. On dirait que tu crois que les femmes naissent toutes compétentes. Que c’est inné chez elles d’essuyer de la marde ou de changer un lit plein de pipi. Eh bien non! Elles doivent faire des efforts. Elles apprennent par essais et erreurs, demandent des conseils, lisent des blogues. Ta façon de penser est complètement réductrice du rôle de la femme versus celui de l’homme. Et c’est ce genre de mentalité qui met une pression indue sur plusieurs d’entre elles.
─ De quoi tu parles?
─ OK, prenons l’instinct maternel, par exemple. Des gens comme toi insinuent que c’est inné chez toutes les femmes. Le problème, c’est que certaines mères se dévalorisent parce qu’elles n’ont pas l’impression de l’avoir. Sauf que l’instinct maternel est un mythe! De nombreuses études tendent à le démontrer. Or, cela n’empêche pas plusieurs d’entre elles de se sentir coupables de ne pas avoir envie de se lever en pleine nuit pour donner un biberon. D’autres se sentent obligées de prendre congé parce que le petit dernier est malade. Pendant ce temps-là, certains hommes se déresponsabilisent en se cachant derrière le fait que ça ne fait pas partie de leur description de tâches de mâle viril.
Mon frère ne savait plus trop quoi dire. Il avait baissé les yeux. Du bout de la fourchette, il brassait ses patates pilées sans trop vouloir les manger. J’achevais mon monologue.
─ Je m’excuse d’avoir été aussi direct. C’est juste que j’ai ben de la misère avec le concept du père-mère. Le rôle de parent ne devrait pas être genré. Tu es présent ou tu ne l’es pas. Tu t’intéresses au quotidien de ton enfant ou non. Peu importe que tu sois un homme ou une femme. Je suis un père de 2017, c’est tout. Et toi, tu devrais arrêter de regarder Mad Men.
Mon oncle, manifestement tanné de m’entendre parler :
─ Sacrement que t’es déprimant! Prends donc une autre bière! Dans mon temps, on savait faire le party!
Tout le monde se mit à rire, et le brouhaha des dernières minutes recommença.
Salut Charles! Excellent ! Je partage ton opinion à 100%. Je suis loin d’être le père que j’aimerais être (j’aimerais en faire plus, tellement plus..), mais moi aussi je prends énormément à cœur mon rôle. En fait je le vois pas comme un rôle, je le vois comme un sacré beau trip!