Eh toi l’enseignante en congé, tu es vraiment bien en vacances tout l’été ! Tu es mère de deux enfants pis tu es prof, tu as sûrement plein de trucs pour les entertainer ! De toute façon, tu as deux mois de congé. Dans quelques semaines, tu ne sauras plus quoi faire de tes dix doigts… Heille ! Deux mois à ne rien faire, tu l’as la belle vie !!!
Que ce soit par des amis, de la famille ou du voisinage, tu te fais sans cesse lancer ces phrases au visage. Pis dans l’état d’esprit dans lequel tu es à la fin juin, tu te dis que ça ne vaut pas la peine de répliquer parce que de toute façon tu n’as pas la force de te justifier encore et encore pour une centième fois. C’est peine perdue, ils ne comprendront jamais.
T’es brûlée, tu n’en peux plus. Pendant dix mois, tu as tout donné et plus souvent qu’autrement, tu as mis ta famille de côté pour pouvoir satisfaire aux exigences de la profession. Quand le 30 juin a sonné à ta porte, tu lui as ouvert avec plaisir. Ça faisait une semaine que tu remplissais des boîtes, que tu les déménageais et finalement que tu as laissé tout cela en plan dans ta nouvelle classe parce que de toute façon, tu n’as pas eu le temps de tout ranger. Tu as dû assister à de multiples réunions, faire la connaissance de tes nouveaux collègues et dire au revoir à tes anciens. Pendant ces quelques jours, tu as dû cohabiter avec l’enseignante qui te laissait sa classe et celle qui entrait dans la tienne. Tu as dû mettre un point final à certains dossiers alors qu’on te demandait déjà de faire des photocopies de ton matériel nécessaire pour l’année prochaine. T’sais quand t’es pas pantoute poussée dans le c… ! Bref, cette dernière semaine a monté ton « écoeurantite » au summum. Tu te dis que ça ne se passe pas toujours comme ça, une chance ! Mais le monde de l’éducation est tellement en mouvance que changer de collègue ou de local fait vite partie de la routine.
Et là, enfin les vacances ! Ce que ton entourage ne comprend pas, c’est que ton cerveau ne delete pas ton côté enseignante dès le 1er juillet. Ben non, ça ne se fait pas comme ça ! Juste à te faire une routine de vacances, ça te prend deux semaines. Pendant les premiers jours, tu te lèves en panique parce que tu penses avoir oublié de remettre des documents importants pour la prochaine rentrée ou tout simplement parce que tu crois encore que tu fais la surveillance aux autobus. Tu t’aperçois que tu as oublié d’étiqueter tes boîtes et qu’en août, tu ne te souviendras plus du contenu dans les contenants. Tu ne mets plus de réveille-matin, mais tu as les deux yeux bien ouverts à 6h00 ! Et non, tu ne peux pas te r’virer d’bord et te rendormir parce que ton corps est conditionné à ça depuis dix mois. Il ne faut pas oublier que tu as deux petits cocos qui pensent que parce que c’est les vacances, ils doivent avoir une activité à faire à toutes les trente secondes ! C’est normal, ils sont de la génération du service de garde. Alors go, go, go les activités puisqu’ils ne savent pas ce que « rien faire et relaxer » veut dire.
Alors avec tes cernes en dessous du bras pis ton motton dans la gorge, parce que tu ne sais pas trop ce qui se passe avec ton moral, tu tentes de tout organiser pour que tes mignons petits hyperactifs puissent trouver leur compte. Tout cela, en priant pour que les deux semaines de la construction arrivent plus vite que prévu. Enfin, papa sera là pour pallier au manque d’idées d’activités pour diversifier les journées.
Lorsque la famille est enfin réunie pour LES VRAIES VACANCES, ton hamster reste toujours à l’affût. « Pauvre fille, décroche! » diraient la plupart des gens de ton entourage. Mais c’est si facile à dire et trop difficile à faire. Ton cerveau de prof a toujours le gros bout du bâton. Une visite au musée avec tes mousses; ton cerveau de prof te dit que ce serait une belle sortie éducative pour la classe. Aller acheter un livre de lecture pour ta plus grande qui aime lire sur la plage; ton cerveau de prof te dit que ce serait sûrement une bonne lecture à faire à la rentrée. Tu magasines les rangements pour ta nouvelle tente-roulotte; ton cerveau de prof te dit que tu devrais acheter en double parce que tu pourrais enfin ranger tes étampes, tes collants, tes pinces et tes trombones qui se ramassent tout le temps dans le fond de tes tiroirs. Tu vas en visite chez des amis et dans la salle de jeux il y a un magnifique tipi. Ton cerveau de prof « tilt ». T’es au point de non-retour. Ton coin lecture prend vie dans ta tête.
Et alors que tu te sens un p’tit peu plus en vacances parce que tu t’es parlé et que tu as respiré profondément plusieurs fois depuis les dernières semaines, le mois d’août te rentre dedans comme un truck de dix pieds. Il te reste trois semaines avant de faire la rencontre de tes vingt-quatre enfants pour la prochaine année. C’est à ce moment que ton hamster se met à spinner et surchauffe. Que vas-tu faire pour ta première journée ? Quel est le thème de l’année ? As-tu de nouvelles activités que tu veux faire en classe ? Il est où ton carnet d’idées ? Maudit, qu’est-ce qu’il peut bien y avoir dans les boîtes qui restent dans la classe ?
Tu sais bien que plusieurs enseignants ne sont pas comme toi. Il y a des enseignants qui font et refont la même chose à chaque année, à chaque semaine et pratiquement à chaque jour. Ils ne se cassent pas la tête pour redonner un souffle à leur enseignement, tout est prêt donc pas de stress. Ils sont probablement sur le pilote automatique et bien heureux de l’être pour ne pas avoir à se casser la tête. Tu n’as rien contre cette façon, mais tu sais bien que tu n’y adhérerais jamais… C’est juste pas toi.
Tu n’es pas comme ça. Tu as besoin de vivre ! Tu as besoin de voir l’étincelle dans les yeux des élèves. Tu as besoin de te challenger pour donner ton 110%. Tu as besoin de nouveau et renouveau. T’sais le petit stress de l’inconnu pour te sentir vivante. Alors tu es obligée d’avouer que même si tu es en vacances, ton meilleur ami reste Pinterest. On dira ce qu’on voudra, être enseignant c’est plus une passion qu’une profession. Pis que même si tu te fais dire à longueur de journée que tu es payée à ne rien faire pendant l’été, ben toi tu le sais que ce n’est pas ce qui se passe. Et que pour cette pointe si bien lancée, tu te fais un honneur de rectifier le tir en précisant que tu es payée sur douze mois parce que tes payes des dix mois sont plus petites.
Oui, tu as besoin de ton été ne serait-ce que pour mettre à flot ton moral qui peut parfois couler pendant l’année. Tu as besoin de ton été pour faire ressortir la maman et l’épouse en toi qui se cachent derrière l’enseignante, mais qui restent bien là. Tu as besoin de ce répit ne serait-ce que pour te retrouver avec tes propres cocos et non ceux des autres. Mais tu as aussi besoin de cette pause pour te retrouver en tant qu’enseignante. Tu veux retrouver cet amour de l’enseignement et ces petits papillons qui prennent place dans ton bedon aux premières journées de la rentrée.
Alors que tu te retrouves devant le soleil qui se couche avec ses magnifiques couleurs, tu souhaites intérieurement à tous les enseignants de profiter de ces moments pour s’énergiser et repartir en beauté. Et tu te dis probablement que ce serait super trippant de tenter de reproduire ces couleurs à la gouache sur du carton Donval…Mais ça c’est toi pis tu peux rien y changer.
Wow juste wow! MERCI pour ce beau texte!
OMG ! On dirait que vous êtes entrée dans ma tête ! Tout ce qui est écrit est exactement ce que je vis à chaque été depuis 26 ans! Merci ! Un petit oubli ! Les rêves ou plutôt les cauchemars ! Si je suis chanceuse, j’ai deux semaines de sursis ! Et puis, ça commence ! Je rêve presque à toutes les nuits de l’école ! Tout y passe ! Les planifications ne sont pas prêtes, les locaux sont sales, mal aménagés, les pupitres décrépis,… Je me perds dans les couloirs, je suis en retard, les élèves n’ont pas d’allure, … Je pourrais continuer encore longtemps ! Je me réveille soulagée de constater que ce n’est pas réel ! Est-ce la même chose pour vous ?
Magnifique texte.
C’est EXACTEMENT ça. Ni plus, ni moins !!!!!
Ton article est très bien écrit. Mais, tu sais les mamans qui font des boulots tout aussi demandants ET épuisants que les enseignants n’ont souvent que les deux semaines ou TOI, tu te prépare à être en vacances dans ta tête car tu ne peux arrêter de penser à tes responsabilités laissées derrière ET celles à venir….mais elles, après ces deux semaine de préparation, il n’y a plus rien….. Elles retournent au boulot POUR une autre année! …… sans même avoir décroché complètement un seul instant!
Alors, OUI je crois ET continue de croire que ces 6 ou 5 semaines de vacances consécutives sont un immense avantage du métier de prof….. sans être envieuse ou jalouse, je relate un fait! C’est un super avantage que plusieurs mamans ET femmes de carrière auraient bien envie d’avoir une fois dans leur vie!!
Ce n’est nullement une critique, mais je te suggère de ne pas le prendre si mal quand on te dit cela ( faisant ici allusion aux phrases que Tout Le monde vous répète lorsque vous terminez l’année scolaire), appréciez les avantages de votre métier plutôt!! ?
Tu as bien raison, Jess, et j’apprécie grandement cet indéniable avantage qui vient avec ma profession. Je ne peux m’empêcher de souligner, toutefois, que ces vacances, que j’adore à n’en point douter, ne sont pas payées. On s’en rend vite compte, entre autres, après un retour de congé de maternité, quand le RQAP est fini et que plus un sou ne daigne entrer dans notre compte de banque pendant plusieurs très longues semaines. Même en ayant recommencé le travail avant les Fêtes (soit 6 mois avant l’été), mon « salaire », pendant l’été, est amputé de plus de la moitié.
Alors oui, j’apprécie chaque minute passée avec ma famille l’été et je souhaiterais ce bonheur à tous, car nous ne sommes certainement pas les seuls à être épuisés, mais je n’aurai de cesse de rappeler que ces précieuses semaines sont entièrement à nos frais. Comme bien d’autres choses inhérentes à notre travail d’ailleurs…
Très bel article mais oui je suis de celles qui vous trouvent chanceuses vous les professeurs. Chanceuses d’avoir vos vacances en même temps que vos enfants, chanceuses d’avoir les mêmes congés pendant toute l’année, chanceuses d’être avec eux en soirée et la nuit, chanceuses de savoir que vous reviendrez chez vous après le travail et que vous ne serez pas obligé de continuer à travailler un autre quart de travail à cause d’un manque de personnel. Je suis une infirmière retraitée et j’ai travaillé dans ces situations. Je ne veux pas me plaindre, j’ai aimé mon métier qui est très valorisant mais j’aimerais que les professeurs se sentent choyés des avantages qu’ils ont et qu’ils sachent l’apprécier. Le prolongement de mon travail était et est encore les inquiétudes face à leurs symptômes en santé: s’imaginer le pire pour une fièvre légère, une douleur, prendre soins d’un enfant mourant et espérer que les miens n’auront jamais ce problème, prendre soins d’une mère ou d’un père avec AVC, etc. Je suis certaine que vous avez dans vos classes des enfants et/ou parents difficiles comme nous en avons aussi, violence et harcèlement au travail comme nous. Bonne fin de vacances