Mon cher enfant trop volubile,
Comme toutes les mères, je me souviens encore du moment où tu as prononcé ton premier mot, ma belle enfant. Tu étais couchée dans ta couchette, tout juste à côté de mon lit. On venait d’éteindre et c’est là qu’après des semaines de babillages, tu t’es finalement décidée à dire ton premier mot. Une flèche en plein cœur!! Ta sœur me le chantait déjà de mille et une manières, mais c’était maintenant à ton tour de m’appeler «maman». Tu n’avais que six mois, et pourtant, ton père en est témoin, ce «maman» était d’une pureté déconcertante, bien clair, bien senti.
Sans le savoir, sans même m’en douter, je venais d’entrer dans une zone «sans-aucun-répit-verbal». Avant toi, petite chérie, j’ignorais que l’on pouvait parler autant, et ce sans rien vraiment dire. Juste comme ça. Juste parler, pour ne rien dire. Juste pour que le silence ne puisse jamais s’installer. Tu sais que je t’observe souvent et qu’il m’arrive d’avoir l’impression que tu ne prends même pas le temps de respirer entre chacune des phrases de tes trop longs monologues?
Les gens me disent et me répètent à qui mieux-mieux que ton langage est impressionnant. Tu parles si franc pour une poulette de quatre ans. Tu possèdes un vocabulaire digne d’une enfant d’âge scolaire et tes phrases sont parfaitement structurées. Oh oui! Tu es étonnante! Ils trouvent ça tellement fascinant, mais moi, je le connais le secret de ta réussite : tes innombrables heures de pratique. Tu n’arrêtes jamais. Tu sais que même la nuit, alors que tout est censé être calme, toi tu jases? Et sache qu’une mère ne dort jamais sur ses deux oreilles. Alors lorsque ton besoin de verbaliser se fait sentir à trois heures du matin, je t’entends. Je t’entends toujours. Dans certains pays, y’a le supplice de la goutte d’eau… Chez moi, y’a toi.
Le plus drôle, c’est que tu en es pleinement consciente. Il t’arrive même de nous regarder, de ressentir que nous n’en pouvons plus d’entendre ta petite voix si comique malgré tout et de nous demander si nous aimerions avoir une minute de silence. Et tu t’y plies docilement lorsque l’on acquiesce. J’ai bien essayé d’allonger ce temps de silence, mais ça te démange trop au bout de quelques secondes à peine. Je me sens coupable parfois d’avoir besoin que tu jacasses moins ou que tu arrêtes de chuchoter le soir dans ton lit, parce qu’au fond de mon cœur, je sais que tu es la plus jolie et adorable des petites pies.
Alors, si toutes les allocutions que tu déblatères continuellement présentement sont un signe de ta voie future, je te promets une belle carrière en communication, en droit ou en politique. Peu importe, tu auras le bagou pour le faire, j’en suis convaincue.
Tu sais belle enfant, je n’étais pas préparée à avoir un tel moulin à paroles dans ma vie. Je ne croyais vraiment pas que ça se pouvait avant que tu débarques. Je croyais que tout le monde avait à certains moments besoin de calme et de silence. Mais pas toi. Tu es unique, totalement. Tu m’épuises souvent, mais je l’avoue, tu me fais tellement rire. Parce qu’à force de parler pour ne rien dire de vraiment concret, tu me sors des coquilles incroyables, tu t’enfarges grammaticalement et ça donne de délicieuses petites phrases que, comme tout parent, je me ferai un plaisir de te ressortir au moment opportun dans quelques années. Au moment où, crois-moi, tu préféreras que je me taise à mon tour. Mais tout comme toi aujourd’hui, je n’en ferai rien. Je te l’assure, ma vengeance sera terrible!!
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