Mon fils de dix ans se plaint constamment de la platitude d’être un enfant. «Vous êtes chanceux vous les adultes, vous pouvez faire ce que vous voulez». Alors, je lui sors l’une de mes phrases de vieille bonne femme. Je lui rends la pareille, parce que moi aussi à son âge j’imaginais l’âge adulte comme le Saint Graal. Je servais les mêmes réflexions à ma mère. J’avais si hâte d’avoir toutes les libertés des grands. Alors, ma mère me lançait un «Profites-en ma fille» et je roulais mes yeux au fond de leur orbite. Elle ne réalise pas sa chance que je me disais.
J’ai violemment déchanté une fois la majorité atteinte. J’ai même l’impression que ça va de mal en pis. Soyons honnête un instant, être adulte, c’est nul. Oui, je peux me coucher à l’heure que je veux et manger du dessert pour déjeuner, mais le plaisir s’arrête pas mal là. La plupart du temps, je n’ai aucune idée de la prochaine action à poser. Je regarde les événements passer, béate, j’encaisse les coups en repensant au doux temps de mon enfance. Ce temps béni où chacun de mes gestes était orchestré par une autorité compétente. Du moins, c’est ce que je croyais. Parce que maintenant je le sais bien que les adultes ne savent pas ce qu’ils font.
Oui mes précieux enfants, maman fait seulement son possible.
Une fois sur deux, j’agis avec conviction, la suivante c’est totalement aléatoire. Parfois ils me demandent avec leurs grands yeux «mais pourquoi maman» et je leur sers le «parce que c’est comme ça» ou pire encore le «tu vas comprendre quand tu vas être vieux». Là aussi je déchante, je croyais qu’élever des enfants serait une tâche beaucoup plus évidente, qu’il y aurait dans mon esprit des lignes bien droites, claires, simples. Je ne pouvais pas être plus dans le champ. Parfois je me couche le soir et je suis fière, mais la plupart du temps je me dis que j’aurais pu faire mieux.
Ce n’est pas tout. En plus de la désillusion quotidienne, je mute tranquillement en ce que je m’étais promis de ne jamais devenir : une adulte cynique et blasée. De celles qui se disent quand un jeune poussin parle de changer le monde «gnaaa, pauvre petit loup il va être déçu». De ces vieilles frustrées qui prédisent le mur qui attend les nouveaux couples heureux. Une vieille maudite casseuse de party.
Occasionnellement, je revois poindre la petite optimiste et rêveuse que j’étais, mais ça ne dure jamais longtemps. Aussitôt, un troupeau d’adultes m’encerclent pour venir annihiler cette folie passagère. Ils me ramènent sur le droit chemin des bonnes gens. Les gens mûrs de raison qui ne rêvassent pas. Ceux qui paient leurs taxes en avançant sagement vers la retraite. Puisque tandis que les enfants rêvent de la liberté des adultes, les grands eux rêvent de retraite. Haaa liberté 55, enfin là tout sera possible.
J’ai un pressentiment qu’il y aura un bon tapon de retraités désappointés.
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