Il existe une fatigue différente et plus vicieuse que la fatigue physique. Dormir huit heures d’affilée n’en viendra pas à bout. La lente autonomisation de tes petits non plus. Car c’est ta tête qui ne suit plus. C’est la fatigue mentale. Du sentiment d’avoir le cerveau qui surchauffe, prêt à rendre l’âme tel un vieux MacBook dont la carte mémoire est grillée.
À la maison, tu es celle qui organise et qui anticipe pour toute la famille. Tu rêverais tant de lâcher prise et de profiter simplement du moment présent sans te soucier du futur. Mais c’est tout simplement impossible. Et tu sais que ce n’est pas près de changer.
On t’a conseillé de faire une pause, de changer d’air, de te réserver du temps pour toi. Mais c’est déjà ce que tu fais, et même assez souvent.
Prévoir une sortie en amoureux, par exemple. Il faut juste trouver une date où la gardienne est disponible. Baigner, mettre les enfants en pyjama, mettre la table et préparer un repas avant son arrivée. Tâcher de dégager dix minutes pour essayer d’avoir l’air présentable entre temps. Au resto, vérifier toutes les quinze minutes si tu n’as pas manqué un appel de détresse. Faire le décompte de ces quelques heures de liberté chèrement payées et prévoir du cash pour la gardienne au retour.
Ou encore, laisser les enfants une journée chez les grands-parents pour aller chez le coiffeur et faire un peu de shopping. Il faut simplement que tu penses à ne rien oublier (couches – lingettes- poussette – biberon – lit de voyage – chapeau – crème solaire – rechange – doudous – coloriages) avant de partir et à faire un récapitulatif par écrit des horaires de repas et de siestes. Que tu n’oublies pas de jeter régulièrement un œil à ton téléphone au cours de cette précieuse journée qui passera si vite qu’arrivée au soir, tu auras déjà oublié la détente procurée par ce moment d’oisiveté bien trop court.
Partir en vacances en famille devrait permettre de casser la routine et de reposer tes neurones au bord du court-circuit. Il suffit de chercher des heures sur la toile une destination adaptée aux enfants. De te perdre encore quelques heures pour repérer une maison convenable à louer. De présenter ta sélection à l’homme qui trouvera derechef tous les arguments possibles pour briser ton enthousiasme. Deux semaines avant le grand départ, pour sûr, ton cerveau sera en ébullition et tu ajouteras tous les quarts d’heure un accessoire sur la longue liste extensible à l’infini des trucs indispensables à ne surtout pas oublier. Sur place, il faudra songer programmes adaptés aux horaires de siestes, menus et courses, lessives. On a beau être en vacances, les tâches ménagères ne nous lâchent pas pour autant.
Ta tête ne se repose jamais. Les sorties sans enfant et les vacances ne te libèrent pas de ton devoir de gestionnaire du foyer. Quand bien même tu prends sur toi et tu délègues à ton homme la préparation des bagages ou la planification d’une sortie, en acceptant que tout ne soit pas organisé exactement comme tu l’aurais souhaité, cela ne représentera qu’un dixième de tout ce que tu anticipes constamment chaque semaine.
Qu’on se comprenne bien, tu n’accuses personne. Tu sais que tu es toi-même responsable d’avoir instauré ce type de fonctionnement sans même t’en rendre compte. Au fond, c’est peut-être ça aussi, la maternité. Accepter d’avoir la tête constamment trop pleine pendant une vingtaine d’années. Et se retrouver complètement démunie le jour où toute cette charge mentale finit par diminuer.
Innocemment, les gens s’imaginent que parce que je suis en garde partagée, que je me sauve des tout cela: erreur! Même en garde partagée on reste dépositaire de tout ce casse-tête au nom du sain (saint!) bien-être de la chaire de notre chaire!