Je te regarde descendre la rue chaque matin, les yeux sur ta planche, la tuque bien calée sur ta tête. Pas de casque. Tu montres déjà ouvertement ta protestation envers les règles établies et t’es tellement beau. Y’a cette chose chez toi qui fait chavirer mon cœur de mère, même si je ne suis pas la tienne.
T’es haut comme trois pommes et t’as juste douze ans, mais y’a cette maturité qui émane de toi, ce « trop de vécu » pour une âme enfantine. Tu te traînes avec cette nonchalance et ton air fru d’ado rebelle, ton attitude fermée et ton impolitesse dans le visage. T’as l’armure qui s’épaissit au fil des épreuves qui te tombent dessus. Tu frondes solidement ceux qui croisent ton passage pour être bien certain qu’aucun adulte ne va t’aimer. Parce que ça t’a pas réussi, à toi, l’amour. L’amour pour toi, c’est cette sensation qui finit toujours par t’être enlevée. Comme si des enfants comme toi ne méritaient pas qu’on les aime. Et ça marche p’tit gars! Les adultes te haïssent, te jugent. Ils t’ont classé! À leurs yeux, t’es juste un bum, un délinquant, un caïd, un futur ex-détenu. Y’a pas d’espoir alors ils ne s’investissent pas. C’est tellement plus facile que de prendre le temps de creuser. D’aller voir derrière comme tu es beau. Mais t’es habitué à ça. Ta mère elle-même le dit… Elle-même le fait.
Alors tu es devenu un tank.
Moi, je le vois le petit garçon sensible derrière ta cuirasse. Quand je te vois te tourner la couette sans cesse en essayant de rester groundé sur tes maths parce que tu le sais au fond de toi que c’est important, je le sens, le petit gars fragile. Je le vois battre fort, ton cœur, quand j’y touche presque et que tu regardes en l’air pour contenir tes larmes. Quand je te parle de toi et de ta vie et que tu me tournes le dos en disant: » Est-ce que je peux m’en aller maintenant? »
J’en veux à l’univers de t’avoir choisi cette vie-là.
T’es pas mon fils, mais mon cœur manque un battement quand je te vois tomber en skate. T’es pas mon fils, mais les rares fois où j’arrive à te décrocher un sourire, y’a cette chaleur qui me remplit et qui me dit qu’il y a de l’espoir. Que t’es pas perdu. T’es pas mon fils, mais ça me fait mal à chaque fois que tu te mets dans le trouble.
T’es pas mon fils, mais la vie nous a placés sur la même route et c’est pas vrai que je vais rester là sans rien dire et sans rien faire. Tu le sais pas, mais même si t’es pas mon fils, moi je suis là. Pour un temps. Et même si tu veux tellement que je crois le contraire, je le sais que quelque part, t’as besoin de moi pis que tu ne te fous pas de ma présence.
Un peu comme toi Sandra, ma prof d’art plastique. Je ne serais pas ou j’en suis sans tout l’aide que tu m’as apporter au secondaire. T’as passé par dessu mon aire de boeuf, mon attitude de marde. T’as même pris ma défense devant les élèves et aussi les directeurs. J’suis pas ta fille mais je t’aime tout autant.