Tu m’as habitée pendant neuf mois. Nous ne faisions qu’un. Je t ’emportais partout où j’allais. Tu vivais à mon rythme et je m’adaptais au tien. Tu remuais, intrigué, au son du concert que j’étais allée écouter. Ton hoquet me tenait éveillée la nuit. Nous étions en symbiose parfaite.
Et puis le jour tant attendu est arrivé. Tu es né. L’espace d’un instant, tu as quitté mon corps pour atterrir parmi nous. J’ai mis du temps à réaliser que mon ventre était vide. J’ai eu l’impression de te sentir bouger à l’intérieur de moi encore plusieurs jours après ta naissance. Je me souviens du sentiment d’arrachement la première fois où je me suis éloignée de toi. Juste pour vingt minutes. Tu dormais comme un ange et ton père veillait sur toi. Je devais passer à la pharmacie. Une fois dans la rue, je me suis sentie plus nue que jamais. Persuadée que tous les passants pouvaient lire mon désarroi sur mon visage. Qu’ils voyaient que j’étais amputée et vide. Qu’ils comprenaient que j’avais laissé une part de moi à la maison.
Le temps a passé depuis. M’éloigner de toi est devenu plus facile. J’ai pris l’avion sans toi. J’ai compté jusqu’à cinq dodos avant de pouvoir te serrer à nouveau dans mes bras. Il y a comme ce fil invisible qui me rattache à toi en permanence. Le fantasme maternel d’un cordon ombilical qu’on n’aurait jamais coupé, extensible à l’infini. Un fil qui suit le cours de mes pensées. Pensées que tu habites constamment, à tout moment de la journée et en toute occasion.
Évidemment, j’ai bien vite compris que j’avais besoin de ces moments sans toi pour souffler, pour récupérer, pour me ressourcer. Que ces occasions-là me permettaient d’être une maman plus disponible et plus sereine quand je te retrouvais. Et surtout, j’ai compris que de ton côté, ces instants sans moi contribuaient aussi à te faire grandir.
Ton arrivée dans ma vie a modifié à jamais la personne que je suis. Je t’ai porté, je t’ai bercé, je t’ai choyé, je t’ai nourri. Mais tu ne m’appartiens pas. Mon rôle de maman est aussi de t’apprendre à affronter la vie sans moi. À ne compter que sur toi-même. À être capable de te forger tes propres opinions. À ne pas avoir peur de voyager, de te frotter à l’inconnu. J’aimerais que l’amour que je te porte te donne la confiance d’être libre. C’est le plus bel apprentissage que j’ai reçu de mes parents.
Envole-toi à ton tour, mon grand.
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