pregnant woman belly

L’enfant que j’ai donné à une autre

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Je n’ai jamais voulu d’enfant. Je n’ai jamais voulu partager ma vie et la mettre au service d’un petit être qui devrait compter sur moi des années durant. C’est cru, c’est scandaleux pour certaines, mais ce n’est pas égoïste. Ce le serait bien plus de mettre un enfant au monde et de ne pas l’aimer. Et les phrases à la con du genre « Tu l’aimerais pareil » sont peut-être vraies, mais je n’ai jamais voulu transformer la théorie en pratique parce que c’est un choix assez… irréversible.

Je suis une femme de carrière, de défis, de passion. C’est ce qui me nourrit et c’est ce qui me ground. Je me donne, je me retrouve là-dedans. J’aime ma liberté, dans mes choix, dans ma vie. Et j’ai toujours fait attention, pris mes précautions pour ne pas qu’un petit être vienne brimer ce que j’ai de plus cher.

Je suis même allée jusqu’à m’injecter un merveilleux anti-bébé dans le corps, nouveau procédé aux mérites instantanés. Mon corps en a presque doublé. Ironique quand il n’y a personne qui s’y loge.

Du plus loin que mon cerveau me permet de me souvenir, je n’ai jamais eu une grosse tolérance à certains aliments et plus pathétique encore, je n’ai jamais trop pris le temps de faire la corrélation entre ce que je mange et mes malaises. J’aime trop manger, chaud en l’occurrence, un choix de vie que j’ai fait par le fait même en ne devenant jamais maman .

Puis il y a eu ce matin où, après que mon mou de ventre a pris une expansion soudaine, où mon estomac a déclenché la guerre, où mes tripes ont fait la rencontre de ma belle grosse cuve blanche, j’ai vu ce maudit signe-là sur un vulgaire bâtonnet de plastique : enceinte.

J’ai rempli la cuvette une deuxième fois. Mais de stress, de découragement. La vie se moquait de moi et du côté responsable que j’avais toujours pris. Moi, la chanceuse qui faisait partie du faible pourcentage à qui cela peut arriver malgré la contraception. Une maudite loterie de la vie à la con.

J’ai roulé jusque chez le docteur, à reculons et désespérée en espérant qu’il me dise qu’il n’était pas trop tard pour que mon petit locataire indésirable puisse prendre le même chemin emprunté vers la sortie..

Mais dans le plus beau de ma malchance, j’en étais déjà presque à la moitié .

Les jugements. Ces foutus jugements. Ces « vivre et laisser vivre » que tout le monde proclame, mais que personne n’applique se sont abattus sur moi et m’ont collé à la peau comme des abeilles sur du miel.

Les gens vomissaient des félicitations alors que leurs yeux trahissaient leur véritable impression. Tout mon entourage connaissait mon discours sur mon non-désir d’enfanter. Voilà que les bottines ne suivaient pas les babines. Mais j’ai assumé. Mon corps qui changeait, mon contrôle qui disparaissait, sur ma vie, sur mes choix. J’ai compris que malgré ce coup bas que la vie m’envoyait, c’était à moi de reprendre mon existence en main et de me tenir forte devant cette mer de conseils, de jugements et d’opinions jamais demandées.

Je n’allais pas le garder. Je n’avais rien à offrir d’assez bien à ce petit être afin qu’il s’épanouisse, qu’il grandisse avec assez d’amour pour devenir un petit humain fort. Assez fort pour devenir ce qu’il voulait. Je ne pouvais pas envisager qu’il ressente un jour le doute et la déception qui m’avaient submergée quand j’avais été informée du bail qu’il avait signé dans mon ventre sans mon consentement.

Je n’ai peut-être jamais voulu d’enfant, mais je ne voudrais jamais faire mal. Jamais

Et ma façon d’apprendre à l’aimer tranquillement, au fil des mois précédant sa naissance, était de le laisser partir. De lui souhaiter la meilleure famille. Ce couple qui essayait fort, par tous les moyens, de concrétiser ce projet de famille, qui voulait élever un petit bout de vie autour duquel leur terre tournerait à la plus belle vitesse du monde .

J’ai appris à vivre avec lui. J’ai continué ma vie, certaines journées dans le déni jusqu’à ce que ma route croise un miroir. Mais jamais au grand jamais, je n’ai baissé les yeux. Je me devais de rester forte pour celui que j’allais laisser partir. Pour un monde plus grand que moi, pour un amour plus grand que le mien.

Et puis il est né. Dans la froideur d’une nuit de mars, à la naissance du printemps. Et je l’ai laissé partir dans les bras de cette dame avec ce qu’il restait de neige.

Et j’ai pleuré. De joie, parce que c’était la fin des doutes. Et après la tempête, le petit torrent de larmes passé, j’ai compris.

J’ai compris que j’étais restée fidèle à moi-même dans toute cette bataille. Et malgré le désarroi et la foudre des autres, je n’avais pas seulement pensé à moi, mais à lui aussi .

Il avait déjà une famille qui l’attendait. Qui trépignait de joie à l’idée de tous ces souvenirs à créer avec ce petit bonhomme qui sortait de mon corps.

Pis j’ai tout compris. Que la vie me l’avait prêté neuf mois durant, pour que lui, du haut de ces trois pommes, apporte la vie que cette famille méritait. Pour que je le mette au monde pour cette maman et ce papa qui l’aimaient déjà au-delà des liens du sang par leur désir plus fort que tout d’avoir un enfant.

J’avais contribué un peu à leur bonheur .

On dit que le malheur des uns fait le bonheur des autres. Mais parfois, là où on ne l’imaginerait pas, il est possible que seul le bonheur l’emporte.

Crédit : Dariia Pavlova/Shutterstock.com

La Collaboratrice dans l'Ombre

La Collaboratrice dans l'Ombre est la couverture utilisée par toutes les collaboratrices de l'équipe qui souhaitent écrire des articles crus et criant d'une vérité sans filtre. Souhaitant exprimer et assumer leurs opinions sans pour autant blesser leur entourage immédiat, elles préfèrent alors utiliser le couvert de l'anonymat.

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4 Comments

  • Votre texte m’a fait pleurer, merci. Je suis maman adoptive et votre histoire me colle à la peau. J’ai un trésor d’enfant grâces à une femme comme vous, qui avez eu assez d’amour envers vous-même et envers ce petit être pour le laisser partir à un endroit où il sera chéri toute sa vie. Croyez-moi, je remercie intérieurement chaque jour la mère biologique de mon enfant. En aucun temps je ne l’ai jugé cette femme et un jour, de vive voix, je lui dirai merci.

  • Ouf ! Un beau texte empreint d’honnêteté. Vous avez choisi de lui offrir une vie qu’il méritait et en plus, le bonheur pour un couple qui n’arrive pas à concevoir, de vivre enfin le rêve de la maternité. Finalement, si vous aviez choisi d’avorter, même à 20 semaines de grossesse, vous auriez fait un geste égoïste alors que vous avez quand même fait don de votre corps pendant 9 mois pour qu’il puisse vivre en étant aimé. Bravo !

  • C’est un texte magnifique qui démontre tout, sauf de l’égoïsme..
    Avorter une fois, ça va, deux fois passe encore mais rendu à trois fois vous avez là le summum de l’égoïsme (et je ne parle pas d’avortement thérapeutique, juste au cas!).
    Vous auriez pu avorter tardivement car au Québec c’est permis, mais vous avez fait le choix de rendre 3 personnes heureuses.
    Je connais des parents qui espèrent le genre de bonheur que vous avez offert, je vous remercie pour eux!
    En espérant que jamais un doute ne s’imisce dans votre esprit.
    Vous méritez le respect d’avoir reconnu votre potentiel.

  • Très belle décision! Et vous pourrez en avoir des nouvelles plus tard, si vous le désirez. Plusieurs enfants adoptés souhaitent rencontrer leurs parents biologiques. On ne manque pas de parents adoptifs au Québec! Donner son enfant en adoption est un choix noble qui devrait être davantage valorisé.

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