Avoir un enfant, c’est une grosse décision à prendre. Mais un coup qu’il est là le p’tit, tu n’y échapperas pas, viendra le temps de choisir ton clan en ce qui a trait aux vaccins que tu le veuilles ou non. Et peu importe dans quel gang tu te trouveras, tu te feras fusiller du regard. Mais si tu penses sincèrement avoir entrevu le regard qui tue, attends de t’être rendue à cet ultime rendez-vous de la première dose de vaccins.
Tu ne sais aucunement pourquoi mais tu vas soigneusement passer au peigne fin ton sac à couche avant de partir. Tu vas y mettre les vêtements de rechange les plus propres, un flacon de Tempra flambant neuf, tu vas enlever toute traces de saleté aussi petite soit-elle, t’sais, d’un coup que l’infirmière te ferait une fouille surprise DPJ. On est jamais trop prudent.
Tout le long du trajet en auto tu vas avoir la tête ailleurs. J’fais-tu la bonne affaire ou si j’suis sur le point de mettre la vie de mon enfant en danger? Dans la salle d’attente beige, tu vas avoir envie de revirer de bord en t’assoyant sur la chaise avec ti-prout dans les bras, tout neuf, tout beau. Mais comme t’as pris une décision, tu vas décider de te lancer dans l’aventure Vaccin 101 pour de bon.
La tête pleine d’interrogations, l’infirmière aux mille et une questions va te sembler à des années-lumière tellement t’es là de corps mais pas d’esprit . Tu vas l’entendre comme dans un rêve. Ou comme dans un cauchemar. Mais elle est wise la madame et elle va bien se rendre compte que tu l’écoutes pas trop trop. Fait que son débit et sa tonalité de voix vont prendre de l’expansion à un point où tu vas avoir l’impression de te faire chicaner par ta mère-pas-de-patience quand tu ne rangeais pas ta chambre y’a de cela belle lurette.
Quand elle va te sortir son diphtérie-coqueluche-infection-à-ménin-pneumocoque-machin-chouette, tu vas probablement avoir la nausée tellement tu te demandes ce que ça mange en hiver. Mais tu vas hocher de la tête en faisant semblant que tu maîtrises totalement son vocabulaire. Inversement proportionnellement à tes émotions du moment.
Après avoir fait déshabiller ton p’tit rejeton de deux mois à peine tout au chaud dans ses vêtements pour le peser ben ben tout nu, elle va te l’étirer de tout son long sur une planche ben frette pour savoir sa grandeur précise.
Pis là, va venir le moment que tu redoutais tellement. Elle va sortir tous ses équipements dans ta face comme un attirail de boucherie. Y’a une force soudaine qui va te tirer les épaules par en haut pis une autre qui va te tenir les fesses bien assisses sur ta chaise. Tu vas avoir envie de courir, mais tu vas restet là, écrasée raide. Elle va te rassurer en te disant que ça va se passer super vite.
Ça fait qu’elle va le piquer et qu’elle va le piquer, ton bébé, une fois à la suite de l’autre devant ta face terrassée incertaine. Pis tu vas te retenir de pleurer aussi fort que ton bébé qui hurle à pleins poumons mais tu n’y arriveras pas et tu vas essuyer tes larmes pis celles de ta progénitures à grands coups de kleenex de Caillou. Depuis des semaines que tu te retenais de pleurer pour un paquet de raisons toutes moins légitimes les unes que les autres. Ça fait que c’est là que tu vas décider que c’est le temps de tout laisser ça sortir.
Pis pendant que vous vous remettez, elle va remplir sa paperasse. Pis t’expliquer les effets secondaire. Tu vas déconnecter. Tu seras pu là. Tu vas déjà voir ton enfant avec des séquelles graves dont tu seras la seule et unique responsable .
Elle va profiter de ton moment de faiblesse pour te catapulter un paquet de questions pour déterminer si ton bambin a acquis toutes ses capacités motrices et intellectuelles. Tu vas capoter. Il fait pas ci ? Il fait pas ça ? Quel genre de mère es-tu, toi là ? Comment ça qui sait pas déjà danser de la claquette en récitant du Baudelaire du haut de ses deux mois? Au bord du désespoir, tu vas croire à un retard de développement grave en te tapant dessus mentalement. Mauvaise mère.
Puis tu vas remettre toute ta paperasse dans ton sac à couches en essuyant tes larmes et en regardant ton pauvre bébé, pleine de remords. Et c’est à ce moment précis que l’infirmière risque de te dire que si tu n’es plus capable de gérer tes émotions, ton enfant le ressent et que c’est mauvais pour lui. Rien de moins que le clou qu’il fallait pour refermer à tout jamais le cercueil de la mère parfaite.
En voiture, bébé dort ben dur. Il est bien.
Plus tu t’éloignes et plus le moral te revient. C’est comme si t’étais à Tchernobyl dix minutes plus tôt. Tu ne comprends pas comment t’as fait pour penser de même. Comment quelqu’un d’autre que toi ou Papa est mieux placé pour savoir ce dont ton chaton a besoin. Tu l’as souhaité? Tu l’as porté? Le mode d’instruction, c’est toi qui l’a rédigé et qui continue de le faire.
Tout compte fait , il faut que t’assumes tes idées et tes choix et il faut surtout que tu sois prête à en gérer les conséquences. Comme dans tout le reste.
Ça fait que lâche pas sa mère, ça va ben aller.
MÉLISSA RONDEAU |
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