woman and daughter

J’ai compris, maman

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« Quand tu vas avoir des enfants, tu vas comprendre ma p’tite fille. »

La phrase qui tue et qui t’a tellement fait suer dans ta jeunesse. C’était tout le temps le dernier argument de ta mère quand tu t’obstinais trop longtemps pis que tu faisais exprès de ne pas comprendre. À cette époque pas si lointaine, tu t’étais promis de ne jamais donner raison à ta génitrice. Tu pensais que tu comprenais déjà un gros paquet d’affaires pis que c’était ta mère, la trop-vieille-pour-comprendre-les-points-de-vue-modernes. Que toi, non madame, tu ne serais pas comme ça quand tu serais à ton tour une maman. Que tu ferais les choses autrement pis que t’achalerais au grand jamais tes enfants avec une phrase telle que celle-là, une phrase qui t’a tellement donné envie de te rebeller contre celle qui te fait office de mère.

Je m’en vais te faire une grande annonce, beauté. Tu t’es mis le doigt dans l’œil. Pis tu te l’as enfoncé tellement creux que j’ose même pas te dire où il est rendu. Après ça, comme t’avais pas encore compris, tu as utilisé ton autre main et ton autre œil pour finir la job. Tu vois-tu où je veux en venir?

Ta mère avait raison. Pis sur toute la ligne à part de ça.

Ça fesse, mais à c’t’heure que tu le sais, que t’as reçu la tonne de briques sur la tête pis que tes doigts sont sortis de tes yeux, tu vois plus clair et tu peux avouer que je n’ai pas tort.

Quand tu hurlais en faisant le bacon dans le centre d’achat et que tu traitais ta mère de méchante-pas-fine, ta mère avait raison de ne pas t’acheter de bébelle inutile juste parce tu lui faisais honte devant tout le monde. Elle avait raison de ne pas plier. Maintenant, tu as compris. Surtout depuis que ton quatre ans a hurlé sa vie dans l’épicerie pour un paquet de bonbons. Ta mère voulait t’apprendre que ce n’est pas de cette façon-là qu’on obtient ce qu’on veut dans la vie. Et tu peux la remercier car c’est grâce à elle que tu as pu faire la même chose avec ton petit à qui tu te tues à apprendre qu’il y a certaines choses qui se méritent.

Quand tu refusais de manger le souper que ta mère avait préparé à la sueur de son front en vous endurant courir, crier et lui demander deux milles affaires en même temps, elle a eu raison de t’obliger à goûter. Pis si t’as pas voulu, elle a eu raison de ne rien te faire d’autre pis de t’envoyer faire tes devoirs le ventre vide. Pendant longtemps, tu as trouvé ça horrible qu’elle ait pu te faire ça. Mais tu peux dire que maintenant, tu as compris. Quand ta fille t’as fait une face de heurk-c’est-dégueu l’autre soir avant même d’avoir pris une mini bouchée, t’as senti le feu te monter au visage. N’ayons pas peur des mots, t’étais en beau calvaire. Tu avais eu une journée de fou à la job et tu t’étais franchement forcée pour ne pas leur faire – encore – des grilled cheese. Tu as donc agi avec ta fille comme ta maman l’avait fait avec toi. Tu peux la remercier, car c’est grâce à elle que tu as appris à ta fille à reconnaître les efforts des autres.

Quand tu te laissais traîner partout-partout-partout dans la maison comme si tu représentais à toi seule une armée, ta mère avait raison de t’obliger à ramasser avant de pouvoir sortir dehors aller rejoindre les petits voisins. Pis si tu refusais d’acquiescer à sa demande, ben elle avait raison de ne pas acquiescer à la tienne. Pas de sortie pour toi, miss. Tu en as pleuré des larmes de crocodile en hurlant sur le compte de l’indignité de ta mère. Mais maintenant, tu as compris. Surtout depuis que tu es la directrice en chef d’une famille de trois flos et d’un chum qui ne se ramassent pas tout le temps. Tu le sais, le travail infini que représente l’entretien de la maisonnée. Pis tu te sens franchement dépassée quand les autres te prennent pour leur bonne, sans même remarquer tout ce que tu fais. Ça fait que oui, tu fais comme ta mère. Et tu peux la remercier, car c’est grâce à elle que tu inculques à tes enfants le sens des responsabilités et l’entraide.

Ta mère a aussi eu raison de t’obliger à dire s’il-vous-plaît et merci, à t’excuser quand tu avais tort – même quand tu t’entêtais royalement -, à éteindre les lumières quand tu sortais d’une pièce et de zipper ton manteau quand il faisait froid dehors. Elle a eu tellement raison de te donner une heure pour rentrer le soir lors de tes premières sorties et de t’obliger à lui dire où tu passais la soirée et avec qui. Elle a parfois même eu raison de fouiller dans ton journal intime, juste pour comprendre ce qui n’allait pas et pouvoir enfin t’aider.

Ta mère a surtout eu tellement raison de t’aimer autant, de te protéger et de te préparer à ton tour au plus beau métier du monde : être maman.

Oui, maintenant tu peux vraiment le dire : j’ai compris, maman. Merci.

Audrey Roy
AUDREY ROY
Crédit : Zoeytoja/Shutterstock.com

Audrey Roy

Super-maman de trois enfants dans la trentaine avancée, directrice en chef de ma famille reconstituée (presque) parfaite, ma vie est une source inépuisable de délires familiaux à écrire. Étant une ex-abonnée de l'organisation extrême, le petit dernier m'aura appris que le lâcher-prise est une valeur sûre pour survivre à mon quotidien. Fière mère indigne, écrire est pour moi un véritable plaisir coupable. Au plaisir de vous faire sourire (et de vous faire sentir moins seules dans vos tourments).

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