Au moment où t’as pogné la vingtaine, t’as commencé, bien malgré toi, à pencher du côté obscur. Tu l’savais pas, mais l’idée de la reproduction commençait à se frayer un p’tit chemin entre tes deux oreilles. Pis t’étais de moins en moins outrée à chaque fois qu’une de tes connaissances publiait une photo de son écho de douze semaines pour faire l’annonce de la compatibilité ultime entre son chum et elle.
Au début, ça te tapait sur les nerfs, les photos de bedaine et les concepts toujours plus rocambolesques d’annonce du sexe. Mais t’as commencé à t’attendrir et à cliquer sur les photos.
Les réseaux sociaux avaient commencé à t’engloutir.
Fait qu’un bon matin, ton chum et toi prenez la grande décision : vous allez créer votre propre embryon. Après une couple de mois de pratique, ça ne semble pas marcher.
Fouille internet, fille, fouille, mais tu trouves pas. Tu joins donc un groupe Facebook sur la conception d’enfants, y grapilles les informations nécessaires pour concevoir et te v’là enceinte.
Ça te prend maintenant un groupe de mamans-to-be pour parler librement de ta grossesse. Ta famille le sait pas encore, t’sais.
Tu y confies tes angoisses, tes nausées matinales et tes résultats de tests. Tu y apprends que la règle est d’attendre l’écho de douze semaines avant de l’annoncer publiquement. Tu voudrais donc ben pas faire comme la fille avec qui t’es allée au primaire qui l’a annoncé et a ensuite fait une fausse-couche. C’pas évident de faire un statut Facebook pour annoncer que le dernier ne s’est pas réalisé.
Pis l’écho arrive enfin. Un petit cœur bat en toi, un petit clignotement sur l’écran. Tu pleures, ton chum aussi et dans l’auto, au moment de retourner à la maison, tu prends en photo le p’tit portrait qu’ils t’ont donné à l’hôpital et publie enfin ce statut auquel tu as tellement pensé.
« Si fière de t’annoncer, univers, que z’homme et moi avons réussi l’impensable, z’avons fait un bébé. Date prévue, blah, blah, blah. « . Tag ton chum. Ajoute la photo.
Pas trop sûre de ce qu’on y voit, mais ça vit en dedans de toi. Si t’as pas au moins quatre-vingt-neuf j’aime avec ça, c’est comme rien.
Tu commences à avoir des messages privés d’autres filles que tu connais pis qui sont dues un peu dans le même temps que toi, t’es au courant de leur vie comme tu l’as jamais été. C’est pas peu dire, t’as renoué avec ta voisine en diagonale avec qui t’allais à la prématernelle ! T’sais quand le lien indéfectible de l’hormone HCG vous unit, c’pas le temps de niaiser !
C’est là que tu te rends compte que la (future) maternité t’as transformée. Tu connais par cœur le nom des enfants de personnes que t’as pas vues depuis dix ans. Quand tu croises une de ces filles, tu salues ses enfants par leur prénom et tu restes bête un peu de voir que l’enfant te saute pas dans les bras. Tu l’as vu vieillir, après tout t’sais.
Or, un beau matin, t’as le plancher pelvien qui te prévient. C’est aujourd’hui que ça se passe. Fait que prête, pas prête, tu l’dis pas sur ton mur, mais tu vas quand même avertir les filles de ton groupe que tu pars pour l’hôpital, pis tu pars rencontrer l’amour de ta vie. Après cent ans une couple d’heures de travail, il est enfin là, le plus beau des chérubins.
On le décrasse un peu, on lui met son premier chapeau, allez hop maman, une toque, un peu de mascara et sors ton plus beau sourire. C’est pas parce que tu sens pas encore tes jambes que l’univers peut attendre pour rencontrer l’objet de tes soupirs.
Plus sérieusement, on dira ce qu’on voudra, mais avec nos familles qui sont souvent loin de nos maisons, faut pas s’étonner que la communication passe par le net.
On y trouve du laid, mais aussi et surtout ben du bon. Puis faut l’avouer, à deux heures du matin, quand t’as dans les bras un bébé affamé, c’est une maudite belle façon de te garder éveillée.
On disait, jadis, que ça prenait un village pour élever un enfant. Et si, de nos jours c’était plutôt d’un réseau dont on avait besoin.
Un réseau… social t’sais.
MICHÈLE TOUSIGNANT |
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