Vient un moment dans ton «congé» de maternité où tu réalises que tu as besoin de prendre l’air. Tu adores ton chérubin, ta maison, ta vie, mais tout à coup tu ressens un manque. C’est viscéral, tu n’y peux rien….tu as besoin de civilisation. De sentir que tu fais encore partie d’un tout même si tu es une ermite depuis les sept derniers mois.
C’est subtil. Tu sens une espèce d’agitation en toi. Tu ne saisis pas le message sur le coup. Alors tu commences à tourner en rond dans la maison. Tu te lances dans le lavage en pensant que tu as besoin de propreté. Une petite brassée de vaisselle pour canaliser cette drôle d’énergie. Mais rien n’y fait.
C’est alors que ta cinq-mois qui perce sa première dent te fait une crise incroyable. C’est pas écrit nulle part que c’est le test pour savoir si tu as la couenne assez dure pour endurer le terrible-two. Ton test de mère commence now. Est-ce que tout l’amour que tu lui portes sera à la hauteur de son caractère je-ne-m’endure-pas-et-je-sais-pas-ce-que-je-veux-pantoute?
Ta petite douceur se métamorphose sournoisement en une bestiole baveuse et grincheuse éternellement insatisfaite. Tu n’aurais jamais pu imaginer que les crises de bacon commençaient aussitôt et tu comprends que les petits jokers que tu as dans ta manche depuis sa naissance ne fonctionneront pas.
C’est au moment où tu as envie de l’installer sur le bord du chemin avec une petite pancarte que tu allumes; c’est le temps d’une ride de char. Tu te demandes si tu sais encore conduire, parce que tu ne te rappelles pas la dernière fois où tu es allée en ville. Alors tu sangles le petit monstre baveux dans sa coquille, tu te fais un sac à couche en vitesse et tu sautes dans ton auto.
Ta voiture se lamente parce qu’elle est ankylosée de ne pas avoir roulé depuis plus d’une semaine. Tu baisses les fenêtres parce qu’elle sent le renfermé et qu’il y règne une chaleur suffocante. À cet instant, le vent dans ton chignon sale et la musique au fond pour camoufler les hurlements de tu-sais-qui, tu te sens comme si tu partais à la conquête du monde.
Tu te rends à la pharmacie parce que tu comprends qu’avec la pointe de l’iceberg qui s’annonce dans la gencive de ta fille tu devras commencer à lui brosser les dents. Dans l’allée des bébés, les commis se succèdent et se pâment devant ta mignonne. «Wow! Mais elle est dont ben de bonne humeur cette enfant-là.» Ce à quoi tu répliques sans y penser «Ça fait changement. C’est son seul moment de bonheur depuis deux jours. Elle fait ses dents pis elle braille sa vie.» À la vue d’une grosse paire de yeux offusqués, tu réalises que tu as besoin de retravailler tes entrées en relation. Puis, intérieurement tu te demandes si tu parlais vraiment de ta fille ou de toi.
Trente minutes plus tard, tu as fini tes commissions et tu ressens le besoin de retourner dans ton terrier. Ton bain de foule est pris et tu sens ton côté sauvage reprendre le dessus. Tu remets bébé en place dans sa base et tu montes le son de la radio même si la chanson est poche. Tu choisis le chemin le plus long pour savourer pleinement ta liberté avant de retourner à la maison, mais surtout pour t’assurer que ta cocotte dormira au moins trente minutes avant de retrouver son air marabout.
Une fois chez toi, tu as le sentiment du devoir accompli et tu te sens comme une nouvelle personne. La dernière heure et demie t’a fait un bien fou et tu te sens prête à passer une nouvelle semaine encabanée à coller ta fille parce qu’une dent qui perce, ça se soigne à grand coup de câlins et d’amour.
Si tu pensais que c’était la première dent la plus dure, arrête de te bercer d’illusions dès maintenant parce que la deuxième saura bien te tester à son tour.
ANNIE CHAMASS
Excellent texte ! Je me souviens de cette époque « bénie « . Merci bien.